Une polémique relancée à l’approche du Ramadan
À l’approche du mois sacré de Ramadan, une nouvelle campagne de boycott visant les dattes algériennes prend de l’ampleur au Maroc. Ce mouvement, devenu presque traditionnel dans le royaume, est justifié par certains citoyens comme une réponse aux tensions politiques croissantes avec l’Algérie. À Casablanca et dans d’autres villes, des manifestants réclament l’arrêt de l’importation de ce fruit, invoquant des arguments économiques, sanitaires et nationalistes.
Cependant, cette controverse survient paradoxalement alors que le marché marocain des dattes fait face à une flambée des prix et une augmentation des importations. Les variétés locales, comme Mejhoul et Boufeggous, atteignent des prix records, ce qui pousse de nombreux consommateurs à se tourner vers les alternatives importées, y compris celles d’Algérie.
Le contexte politique : un boycott aux relents nationalistes
Les appels au boycott des dattes algériennes trouvent leurs racines dans les tensions historiques et politiques entre les deux voisins. Les relations diplomatiques entre l’Algérie et le Maroc sont marquées par des désaccords sur des questions sensibles, notamment le dossier du Sahara occidental. Cette querelle géopolitique alimente régulièrement des campagnes de défiance mutuelle, y compris dans les sphères économiques et commerciales.
Lors des manifestations récentes, les slogans et pancartes portaient un message clair : le rejet des produits algériens, considérés comme une menace pour « l’intégrité territoriale » du Maroc. Des manifestants à Casablanca ont même déclaré que les dattes algériennes sont d’une « origine inconnue » et potentiellement « dangereuses pour la santé », sans pour autant fournir de preuves concrètes pour étayer ces allégations.
Les enjeux économiques : une hausse paradoxale des importations
Malgré ces appels au boycott, les chiffres montrent une réalité différente. Selon des données officielles, le Maroc a importé plus de 132 000 tonnes de dattes en 2024, contre 109 000 tonnes l’année précédente, enregistrant une augmentation de 23 000 tonnes. Une partie de ces importations provient d’Algérie, un acteur majeur dans le marché mondial des dattes.
La variété Deglet Nour, mondialement reconnue pour sa qualité supérieure, est l’une des principales exportations algériennes. Ce fruit, prisé pour sa saveur et sa texture, est souvent vendu à des prix compétitifs, ce qui en fait une alternative attrayante pour de nombreux consommateurs marocains. Cependant, la montée des tensions politiques semble influencer les préférences des acheteurs, notamment dans les grandes villes comme Casablanca.
Par ailleurs, la flambée des prix des variétés locales exacerbe la situation. La Mejhoul, par exemple, est vendue entre 40 et 140 dirhams le kilo, un prix inaccessible pour une grande partie de la population. Face à cette hausse, les dattes algériennes restent une option abordable, mais leur rejet sur des bases politiques pourrait aggraver la crise d’approvisionnement pendant le Ramadan.
Arguments sanitaires ou prétextes politiques ?
Parmi les justifications avancées pour boycotter les dattes algériennes, certains manifestants évoquent des préoccupations sanitaires. Ils prétendent que ces dattes seraient d’une qualité inférieure ou qu’elles constitueraient une « bombe à retardement » pour la santé publique. Toutefois, ces affirmations ne reposent sur aucune étude scientifique ou rapport officiel.
Les experts du secteur affirment que les dattes algériennes respectent les normes internationales de sécurité alimentaire. Les autorités algériennes, quant à elles, soulignent que leurs produits sont régulièrement soumis à des contrôles rigoureux avant d’être exportés. Cette polémique semble donc davantage motivée par des considérations politiques que par des préoccupations réelles liées à la santé des consommateurs.
Une production locale sous pression
Le Maroc possède une riche tradition dans la production de dattes, avec des régions comme le Tafilalet et Zagora jouant un rôle central. Cependant, la production nationale ne parvient pas toujours à répondre à la demande croissante, surtout pendant le Ramadan, où la consommation de dattes atteint des sommets. Les producteurs locaux sont également confrontés à des défis majeurs, notamment les conditions climatiques difficiles et le coût élevé de production.
Certains manifestants affirment que l’importation de dattes algériennes nuit à l’économie nationale en concurrence avec la production locale. Pourtant, les experts estiment que ces importations complètent plutôt l’offre existante, en permettant de satisfaire une demande que les producteurs marocains ne peuvent combler seuls. En d’autres termes, les dattes algériennes ne remplacent pas les variétés marocaines mais répondent à un besoin spécifique du marché.
Une polémique qui masque des enjeux plus profonds
La campagne de boycott des dattes algériennes met en lumière des dynamiques complexes entre le Maroc et l’Algérie, où les différends politiques se reflètent dans les sphères économiques et culturelles. Cependant, cette polémique révèle également des contradictions internes. Alors que certains citoyens appellent à rejeter les produits algériens, la hausse des importations indique une dépendance croissante à ces mêmes produits.
En parallèle, les consommateurs marocains, confrontés à des prix élevés, se retrouvent pris au piège de ces tensions. Les appels au boycott risquent d’aggraver la situation en réduisant l’offre disponible et en augmentant encore davantage les prix. Cette situation pourrait créer un mécontentement populaire, surtout pendant une période sensible comme le Ramadan.
Conclusion : une crise qui dépasse le simple commerce des dattes
La polémique autour des dattes algériennes au Maroc illustre les tensions persistantes entre deux nations liées par une histoire commune mais divisées par des différends politiques. Ce débat, qui pourrait sembler anodin, reflète des enjeux plus vastes, allant de la souveraineté économique à la manipulation des opinions publiques.
Pour surmonter ces défis, il est essentiel de séparer les considérations politiques des réalités économiques. Les consommateurs marocains méritent un accès à des produits de qualité à des prix abordables, indépendamment des rivalités diplomatiques. Une coopération régionale, bien que difficile à envisager dans le contexte actuel, pourrait offrir des solutions bénéfiques aux deux parties.