Algérie : comment l’université s’impose au Maghreb et s’érige en nouvel acteur de la compétition mondiale ?

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Algérie : comment l’université s’impose au Maghreb et s’érige en nouvel acteur de la compétition mondiale ?

L’Algérie, souvent sous-estimée dans le paysage académique international, vient pourtant de signer un exploit qui force l’admiration : selon le prestigieux Times Higher Education (THE) 2025, elle se classe première au Maghreb et deuxième en Afrique. Vingt-six de ses universités figurent dans le top 2 000 mondial, un bond considérable lorsqu’on se souvient qu’elles étaient seulement treize en 2023 et vingt-trois en 2024. Comment expliquer ce sursaut de dynamisme, ces performances encore inimaginables il y a quelques années ? À quelles politiques et stratégies doit-on cette ascension ? Et quelles perspectives s’ouvrent désormais pour un pays qui, des décennies durant, a souvent été moqué ou caricaturé pour la prétendue médiocrité de son enseignement supérieur ?

Un bond spectaculaire dans les classements : chiffres et analyses

La progression fulgurante de 2023 à 2025

Il y a encore quelques années, l’Algérie ne figurait que rarement dans les classements académiques internationaux. Les institutions algériennes étaient souvent reléguées au bas de l’échelle, voire complètement absentes des palmarès mondiaux. Or, selon le ministère de l’Enseignement supérieur, Times Higher Education classe désormais l’Algérie comme première au Maghreb, deuxième en Afrique, et y inclut vingt-six de ses universités dans le top 2 000 d’un échantillon de 2 152 établissements dans 115 pays.
Pour saisir la portée de cet exploit, il suffit de rappeler qu’en 2023, treize universités algériennes seulement apparaissaient dans ces classements, et qu’elles sont passées à vingt-trois en 2024, pour atteindre vingt-six en 2025. L’ampleur de la progression est donc indéniable et témoigne d’un effort concerté pour redresser la barre.

Des critères stricts et “infaillibles”

Le Times Higher Education s’appuie sur une batterie d’indicateurs à la fois quantitatifs et qualitatifs, répartis en cinq axes : la qualité de l’enseignement, la recherche, les citations, l’ouverture internationale et l’impact sur l’industrie. Selon les données mises en avant, plus de 157 millions de citations et 18 millions de publications scientifiques ont été passées au crible, complétées par des sondages auprès de 93 000 chercheurs.
Notons que les universités ne produisant pas au moins 1 000 articles scientifiques sur la période 2019-2023 sont automatiquement exclues du classement. Les établissements algériens qui ont percé ce filtre ont donc su démontrer un niveau minimal de production scientifique et une visibilité internationale suffisante.

L’exemple de Sidi Bel Abbes

Le cas de l’Université de Sidi Bel Abbes, qui figure parmi les 1 200 meilleures universités dans le monde, est particulièrement révélateur. Située loin du pôle capital d’Alger, cette université illustre la “démocratisation” de l’excellence académique algérienne. On aurait pu imaginer qu’Alger ou Oran monopoliserait la réussite, mais force est de constater que plusieurs universités de l’intérieur du pays tirent brillamment leur épingle du jeu.


Cette réalité remet en question l’image caricaturale d’un enseignement supérieur algérien centralisé et mal réparti. Elle suggère au contraire que des pôles régionaux émergent et s’affirment, grâce à une politique volontariste et au rajeunissement du corps professoral.

La clé du succès : politiques publiques et stratégies d’ouverture

Les efforts du secteur de l’enseignement supérieur

Le ministère de l’Enseignement supérieur et de la Recherche scientifique algérien souligne que ce succès est le fruit d’un travail de longue haleine pour promouvoir l’excellence universitaire. Au cœur des réformes : l’amélioration de la qualité de l’éducation, l’encouragement à la recherche et la nécessité de rendre les universités plus attractives à l’international. Des programmes de coopération bilatérale ou multilatérale, notamment avec des établissements français, canadiens ou asiatiques, ont contribué à hisser la recherche algérienne au niveau requis pour paraître dans les palmarès mondiaux.


Par ailleurs, des conventions avec des entreprises nationales et étrangères facilitent l’insertion des étudiants sur le marché du travail et permettent de soutenir financièrement la recherche appliquée. Cette volonté de lier la sphère académique à l’industrie est en phase avec les exigences de Times Higher Education, qui évalue la contribution des universités au développement économique local et national.

L’accent sur la recherche et l’innovation

Les universités algériennes ont également mis en place des incubateurs, des laboratoires de recherche et des pôles d’innovation, souvent en partenariat avec le secteur privé. Les domaines prioritaires incluent l’énergie, l’agriculture, la santé, l’informatique et les nouvelles technologies. Ces initiatives visent à encourager les enseignants-chercheurs et les doctorants à publier dans des revues indexées, condition sine qua non pour obtenir de bonnes citations et améliorer le score dans les classements internationaux.


En outre, les pouvoirs publics ont essayé de faciliter les voyages d’études et les séjours postdoctoraux à l’étranger, afin de renforcer l’ouverture internationale des professeurs et des étudiants. Cette mobilité accrue participe au rayonnement de la production scientifique algérienne et nourrit le réseau de collaborations.

L’importance de la qualité de l’enseignement

Le troisième levier d’action réside dans la qualité de l’enseignement. Des programmes de formation pédagogique pour les enseignants ont été déployés, tandis que la révision régulière des curricula cherche à aligner le contenu des cours sur les standards internationaux. Dans certains établissements, l’adoption d’outils numériques et la mise en place de bibliothèques virtuelles ont amélioré l’accès à la documentation scientifique, offrant ainsi aux étudiants des conditions plus propices à la réussite.


Si la route est encore longue pour atteindre l’excellence des universités occidentales ou asiatiques, la dynamique enclenchée est palpable. Les retours d’inspection menés par des organismes externes, ainsi que les évaluations en interne, soulignent une amélioration substantielle de la qualité des enseignements, en particulier dans les filières scientifiques et d’ingénierie.

Un retour historique : de la colonisation à l’émancipation universitaire

Les nuits sombres de la colonisation

L’histoire de l’enseignement supérieur en Algérie est indissociable de la colonisation. Durant plusieurs décennies, l’accès aux études supérieures était réservé à une infime partie de la population, souvent issue des familles coloniales ou de collaborateurs fortunés. Les rares Algériens admis à l’université étaient pour la plupart écartés des filières d’élite, cantonnés à des domaines jugés “secondaires” ou absents des bancs universitaires.


Cette marginalisation a laissé de profondes séquelles, en termes de retard éducatif et de fracture sociale. Les combattants de la libération, pour l’essentiel, n’étaient pas passés par les grandes universités françaises. Après l’Indépendance en 1962, l’Algérie a fait du rattrapage éducationnel une priorité nationale. Désormais, il s’agissait de former en masse des ingénieurs, des médecins, des enseignants capables de reconstruire un pays dévasté.

Les défis du système socialiste post-indépendance

Dans les décennies qui ont suivi l’Indépendance, l’État algérien a massivement investi dans l’éducation, au point d’y consacrer le plus grand budget de la nation. Les universités se sont multipliées : Alger, Oran, Constantine, puis d’autres dans les villes de l’intérieur. Toutefois, ce développement quantitatif s’est parfois fait au détriment de la qualité, et la politisation de certains secteurs, couplée à la pression démographique, a contribué à l’encombrement des amphithéâtres et à la baisse du niveau moyen.


Malgré tout, cette période a permis d’établir les bases d’une université accessible à tous, sans discrimination de race ou de classe sociale. Le défi restait alors d’élever les standards de la formation, de lutter contre le sous-équipement et de limiter l’exode des compétences vers l’étranger.

L’émergence d’une nouvelle génération

Depuis les années 2000, l’Algérie voit éclore une nouvelle génération de chercheurs et de professeurs formés localement ou ayant bénéficié de bourses à l’international. La transition numérique, l’introduction de la méthodologie LMD (Licence-Master-Doctorat) et l’essor des coopérations universitaires ont donné un élan supplémentaire à cette dynamique.


Les récents résultats dans les classements, comme celui de Times Higher Education, couronnent ainsi cette mutation : l’université algérienne n’est plus un simple instrument d’alphabétisation de masse, mais un acteur capable de concurrencer ses homologues africains, maghrébins et, dans une moindre mesure, mondiaux.

Impacts et perspectives : de la réputation à l’attractivité économique

Une crédibilité renforcée

Figurer en bonne place dans les classements internationaux accroît la crédibilité de l’Algérie sur le plan académique. Cela se traduit par une hausse du nombre de publications scientifiques, des citations plus nombreuses, mais aussi par un regard neuf de la communauté internationale sur le potentiel de recherche du pays.


Cette reconnaissance peut encourager les universités étrangères à nouer des partenariats, facilitant les échanges d’étudiants et d’enseignants, et stimulant la participation à des projets de recherche collaboratifs. Les organismes de financement et les bailleurs internationaux voient également d’un autre œil la demande de subventions ou de bourses quand un établissement figure dans un palmarès réputé.

Un moteur pour l’innovation locale

Sur le plan économique, l’élévation du niveau universitaire est un atout pour l’innovation et l’industrialisation. Les entreprises locales, notamment dans le secteur de l’énergie, des télécommunications ou de l’agroalimentaire, peuvent s’appuyer sur un vivier de diplômés mieux formés et sur des laboratoires capables de développer des projets pilotes.


La présence de chercheurs de rang international dans ces universités renforce la capacité du pays à répondre à des appels d’offres régionaux ou continentaux, qu’il s’agisse d’initiatives environnementales, de programmes spatiaux ou de travaux d’ingénierie complexes. À terme, une université forte facilite l’émergence d’un tissu industriel plus sophistiqué, condition sine qua non pour sortir de la dépendance envers les hydrocarbures.

Un attrait pour les étudiants étrangers ?

Jusqu’à présent, l’Algérie n’était pas perçue comme une destination privilégiée pour les étudiants internationaux. Si la France, le Canada ou les pays du Golfe attiraient nombre d’étudiants africains, l’université algérienne restait en retrait. Avec l’amélioration de son image et de ses infrastructures, l’Algérie pourrait envisager, à moyen terme, de devenir un hub régional pour la formation, attirant des étudiants du Sahel, du Maghreb et même d’autres régions du continent.


Un tel phénomène, s’il se concrétise, renforcerait l’influence culturelle et linguistique de l’Algérie, et contribuerait à la diversification de son économie. Toutefois, il nécessiterait de garantir un cadre légal et administratif facilitant l’accueil des étudiants étrangers, ainsi que l’harmonisation des diplômes avec les standards internationaux.

Défis à relever : pérenniser l’excellence face aux pesanteurs

La question du financement durable

Bien que l’État algérien alloue un budget conséquent à l’éducation, les fluctuations des recettes liées aux hydrocarbures peuvent compromettre la stabilité à long terme. Pour soutenir la recherche et maintenir les laboratoires à la pointe de la technologie, il est crucial d’identifier de nouvelles sources de financement : partenariats publics-privés, aides internationales, programmes de mécénat, etc.
Le risque est grand de retomber dans la routine si les subventions publiques s’essoufflent. Les universités doivent donc apprendre à valoriser leurs brevets, à nouer des alliances industrielles et à participer à des projets internationaux dotés de financements conséquents.

Gérer la massification

Le système universitaire algérien fait face à une massification de la population étudiante. Des milliers de nouveaux bacheliers arrivent chaque année, exerçant une pression sur les infrastructures et le personnel enseignant. Cette massification, si elle n’est pas convenablement encadrée, peut se traduire par une baisse de la qualité de l’enseignement et de l’encadrement.


À ce titre, l’amélioration du ratio enseignant-étudiants et la création de campus délocalisés ou spécialisés sont des pistes explorées pour préserver les acquis. De plus, les autorités réfléchissent à mettre en place une orientation plus sélective dans certaines filières, afin de maintenir un niveau d’exigence élevé.

La fuite des cerveaux

La fuite des cerveaux demeure l’un des défis majeurs. Malgré l’embellie des dernières années, nombre de chercheurs et de doctorants brillants partent à l’étranger, attirés par des salaires plus élevés et des conditions de travail plus favorables. Cette hémorragie, si elle s’intensifie, compromettrait les progrès réalisés et la dynamique de recherche en Algérie.


Pour y remédier, il est primordial de créer un environnement stimulant : laboratoires bien équipés, perspectives de carrière claires, rémunérations valorisantes. La perspective de faire revenir des talents issus de la diaspora algérienne pourrait également contribuer à revitaliser le milieu académique local.

vers une nouvelle ère pour l’Université algérienne ?

Le dernier classement du Times Higher Education 2025 a mis en lumière une véritable révolution silencieuse au sein de l’enseignement supérieur algérien. En se hissant à la première place au Maghreb et à la deuxième en Afrique, l’Algérie affirme une volonté politique de rehausser le niveau de ses universités et de jouer un rôle plus important dans la compétition académique mondiale. Le cas de Sidi Bel Abbes, entre autres, démontre que ce processus n’est pas cantonné aux grandes métropoles, mais irrigue des régions autrefois considérées comme secondaires.

Ce renouveau s’appuie sur plusieurs piliers : un accroissement de la recherche et de la production scientifique, la mobilisation de financements publics et privés, la modernisation des cursus et un meilleur alignement avec les exigences internationales. Il traduit également un héritage historique : celui d’un pays qui, dans la foulée de l’Indépendance, a misé sur l’éducation pour combler des décennies d’inégalités.

Toutefois, l’Algérie n’est pas à l’abri des écueils. Le maintien de la qualité face à la massification, la lutte contre la fuite des cerveaux ou encore la fragilité financière liée à la dépendance pétrolière constituent autant de défis qui pourraient freiner l’essor actuel. Pour transformer l’essai, les universités doivent consolider leurs acquis, intensifier leurs coopérations internationales et trouver une stabilité économique hors hydrocarbures.

Si ces conditions sont réunies, l’Algérie pourra non seulement demeurer en pole position au Maghreb et en Afrique, mais aussi prétendre à un rôle plus influent à l’échelle internationale. C’est, en définitive, tout l’enjeu de cette mutation : confirmer que le sursaut récent ne se résume pas à un feu de paille, mais bien à un tournant vers l’excellence durable.

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