L’explosion verbale signée Abdelilah Benkirane, ancien chef du gouvernement marocain, illustre une nouvelle fois l’attitude provocatrice et la mauvaise foi dont fait preuve le régime de Rabat lorsqu’il s’agit de ses ambitions territoriales. Malgré un accord frontalier de 1972, malgré des décennies de vie diplomatique censée stabiliser la région, le Maroc – par la voix de certaines figures politiques – tente encore de ressusciter l’idée d’un « Grand Maroc ». À l’heure où l’Algérie est en confrontation diplomatique avec la France, ces velléités expansionnistes relèvent d’une manœuvre dangereuse, voire irresponsable, pour faire diversion aux yeux d’une opinion marocaine déjà échaudée par la normalisation avec Israël.
Une Provocation de Trop à l’Encontre de l’Algérie
Benkirane : un politicien en mal de crédibilité
Abdelilah Benkirane, à la tête du gouvernement marocain de 2011 à 2017, s’est fendu de déclarations incendiaires prétendant que Tindouf, Béchar et d’autres territoires algériens étaient « historiquement marocains ». Pour un pays qui a déjà reconnu officiellement ses frontières avec l’Algérie, cette posture relève soit de l’ignorance, soit d’une provocation assumée.
Plus grave encore : ces propos surviennent dans un contexte où Boualem Sansal, écrivain franco-algérien, est incarcéré pour avoir cautionné la même thèse. Alors que le Maroc aurait pu choisir l’apaisement face aux critiques internationales sur le Sahara occidental, Benkirane a préféré jeter de l’huile sur le feu, espérant sans doute soulever un élan nationaliste pour détourner l’attention des scandales internes.
Un discours colonialiste à peine déguisé
Il est sidérant de voir des responsables marocains raviver un discours digne des années 1950, inspiré d’Allal El Fassi et de son fantasme de « Grand Maroc », allant jusqu’à Saint-Louis, au Sénégal. Ce discours n’a jamais été sérieusement reconnu par la communauté internationale et demeure une aberration historique. Les appels répétés à récupérer des territoires algériens reflètent une vision coloniale, niant la légitimité des États voisins et piétinant les accords ratifiés depuis des décennies.
Le Contexte : Tensions Régionales et Jeu de Détournement
Exploitation de la crise franco-algérienne
La stratégie du Maroc – ou du moins de certains cercles de pouvoir à Rabat – semble consister à tirer parti du bras de fer entre l’Algérie et la France. L’Algérie, qui fait face à une escalade verbale et politique avec Paris, se retrouve au centre de manœuvres opportunistes : tandis qu’Alger consacre son énergie à répondre aux provocations françaises, le Maroc se croit libre de ressusciter ses visées expansionnistes en toute impunité.
Le résultat ? Une surenchère irresponsable, où la mise en avant de prétentions territoriales, totalement dénuées de base juridique ou historique crédible, ne fait qu’exacerber la méfiance et la colère de l’Algérie. Rabat, loin d’assumer sa responsabilité pour ses actes, laisse des personnalités comme Benkirane – prétendument non officielles – porter la voix d’une idéologie expansionniste.
L’affaire Boualem Sansal : instrument de discorde
Le sort de Boualem Sansal, emprisonné depuis novembre pour « atteinte à l’intégrité du territoire national », est brandi par certains milieux pour décrédibiliser l’Algérie et la présenter comme un État autoritaire. Pourtant, l’écrivain est lui-même accusé d’avoir repris la thèse selon laquelle l’ouest algérien relèverait du Maroc. À quoi faut-il s’attendre quand un intellectuel, endossant la rhétorique marocaine, revient en Algérie ?
C’est ici que le double jeu de Rabat apparaît : capitaliser sur les maladresses d’Alger avec l’affaire Sansal, tout en maintenant un discours agressif sur la scène régionale. Une tactique cynique, destinée à renforcer l’idée d’une Algérie « oppressante », pendant que le Maroc, lui, se verrait en « victime » d’injustices historiques imaginaires.
La Guerre des Sables et l’Accord de 1972 : Le Rappel des Faits
Un contentieux ancien, déjà tranché
Depuis l’indépendance algérienne en 1962, le Maroc n’a eu de cesse de tenter d’élargir ses frontières. La guerre des sables en 1963, déclenchée par Rabat pour conquérir une partie du sud-ouest algérien, s’est soldée par un échec retentissant face à la résistance de l’ANP (Armée nationale populaire).
En 1972, un accord frontalier, signé et ratifié, a dû mettre un terme aux ambitions marocaines. Pourquoi Rabat fait-il semblant de l’ignorer ? Si Hassan II lui-même a reconnu ces frontières, il est franchement irresponsable pour ses successeurs ou ex-Premiers ministres de défier ce qui constitue un cadre légal international.
Les objectifs réels de la propagande marocaine
Il est évident qu’en réactualisant ces visées expansionnistes, une partie du pouvoir marocain cherche à déplacer l’attention de dossiers plus épineux : la normalisation avec Israël, la contestation interne, ou encore l’illégitimité de l’occupation du Sahara occidental. Plutôt que d’aborder le problème central de la décolonisation sahraouie, Rabat tente de brouiller les cartes en s’en prenant à l’Algérie, accusée de tous les maux.
Réactions Algériennes : Rejet et Condamnation
Le parti El Bina dénonce une folie coloniale
Le parti algérien El Bina a réagi vivement aux propos de Benkirane, y voyant une rémanence du « complexe d’occupation expansionniste », comparable à l’entité sioniste au Proche-Orient. Cette comparaison, certes choquante, traduit l’ampleur de la frustration ressentie en Algérie : après avoir fait face à la colonisation française, puis à des tentatives marocaines d’annexion, le pays considère ces revendications comme la ligne rouge à ne pas franchir.
Silence suspect dans le paysage politique marocain
Ni le Palais royal, ni les principaux partis politiques marocains ne désavouent clairement Benkirane. Leur mutisme vaut-il consentement ? Pour de nombreux observateurs, ce silence révèle une tactique : laisser des personnalités « non officielles » faire monter la pression nationaliste, tout en préservant la façade diplomatique. L’hypocrisie atteint son comble quand on note l’absence totale de revendications marocaines vis-à-vis de Ceuta et Melilla, enclaves pourtant plus légitimes à revendiquer que Tindouf ou Béchar.
Les Risques d’une Escalade au Maghreb
Un contexte déjà explosif
Le Maghreb est un carrefour géopolitique sensible, où la Libye demeure instable, où le Sahel voisin est menacé par le terrorisme, et où l’impasse du Sahara occidental persiste. En jouant avec le feu, Rabat pourrait non seulement détériorer encore plus ses relations avec Alger, mais aussi déstabiliser la région.
La résurgence de ce « Grand Maroc » fantasmé pourrait provoquer des réactions en chaîne : l’Algérie, déjà sur le qui-vive, pourrait durcir davantage sa position, notamment en renforçant ses alliances militaires avec d’autres puissances. Le risque de confrontation, au moins au niveau diplomatique et médiatique, grimpe d’un cran.
Les effets sur la scène internationale
Les grandes puissances, dont la France, sont déjà en froid avec l’Algérie, ce qui pourrait laisser plus d’espace de manœuvre au Maroc. Mais cette posture expansionniste n’est guère appréciée par d’autres acteurs comme la Russie ou la Chine, qui cherchent à consolider leur présence économique dans la région sans chaos majeur. Si la situation venait à s’aggraver, les organisations internationales pourraient être contraintes d’intervenir, rappelant à l’ordre un royaume qui, sur la scène africaine, se retrouverait de plus en plus isolé.
Conclusion
En se lançant dans une offensive verbale, Abdelilah Benkirane n’agit pas en isolé : il reflète un courant politique marocain qui veut encore rêver d’un « Grand Maroc » archaïque et révolu. Cette rhétorique aggrave la crise diplomatique au moment même où l’Algérie se retrouve confrontée à des frictions avec la France, offrant à Rabat une occasion de faire diversion et de rallier un sentiment nationaliste interne.
Pour Alger, ces revendications expansionnistes constituent une attaque directe contre son intégrité territoriale, ravivant les plaies de la guerre des sables et méprisant l’accord frontalier de 1972. Sur le plan régional, c’est un pas de plus vers l’incompréhension mutuelle, au détriment de toute coopération maghrébine.
La question est de savoir si cette posture va s’institutionnaliser ou n’est qu’un énième feu de paille, destiné à apaiser une base marocaine déçue par la normalisation avec Israël. Dans tous les cas, l’Algérie n’hésitera pas à réaffirmer ses frontières et à dénoncer des manœuvres qu’elle juge provocatrices et infondées. La diplomatie internationale, quant à elle, pourrait se retrouver une nouvelle fois prise en otage par les ambitions démesurées d’un royaume qui, au lieu de régler le dossier du Sahara occidental, s’en prend à son voisin de l’est en invoquant un passé fictif.