Les récentes déclarations du ministre français de la Justice, Gérald Darmanin, voulant «supprimer» l’exemption de visa accordée à la nomenklatura algérienne, ont soulevé une vague d’indignation à Alger. Dans un contexte déjà électrique, marqué par l’affaire de l’influenceur «Doualemn» et l’arrestation à Alger de l’écrivain franco-algérien Boualem Sansal, beaucoup de voix en Algérie y voient une provocation supplémentaire de la part de la France, déterminée à humilier le pays et à bafouer sa souveraineté. Quelles conséquences pour les relations bilatérales déjà éprouvées ? Et surtout, comment comprendre cette escalade verbale de Darmanin, perçue par une large frange de l’opinion algérienne comme une ingérence insupportable ?
Contexte : une relation qui n’a jamais cessé d’être complexe
Depuis l’indépendance de l’Algérie en 1962, les relations avec l’ancienne puissance coloniale n’ont jamais été véritablement apaisées. Les velléités néocoloniales de la France n’ont cessé d’alimenter la méfiance, voire la colère, des Algériens, qui considèrent que Paris cherche constamment à imposer son agenda ou à porter atteinte à la souveraineté de l’Algérie. Les épisodes de tensions se sont multipliés : déclaration sur la «rente mémorielle», polémiques autour de la question des visas, non-reconnaissance pleine et entière des crimes de la colonisation, etc.
Dans ce contexte déjà tendu, l’incident lié à l’influenceur Doualemn a fait office de catalyseur : arrêté à Montpellier après une vidéo controversée, il a été expulsé vers l’Algérie, puis renvoyé en France par les autorités algériennes. Plutôt que de chercher l’apaisement, Paris a réagi en accusant Alger d’«humiliation». Cette vision partielle des faits est largement contestée en Algérie, où l’on rappelle que le pays est souverain et que la décision de renvoyer Doualemn en France répondait à des considérations légales propres à l’État algérien.
Darmanin et ses propos incendiaires : un acte de provocation ?
Au cœur de la polémique, Gérald Darmanin s’en est pris directement à un accord intergouvernemental de 2013 qui autorise la «nomenklatura» algérienne, en possession de passeports diplomatiques ou officiels, à entrer en France sans visa. Présentée comme une «mesure de rétorsion», l’idée de supprimer cette facilité est présentée en France comme une façon de riposter à une prétendue «humiliation» orchestrée par Alger.
Du côté algérien, on voit surtout dans ces déclarations un nouveau cap franchi dans la provocation. Dans la presse et sur les réseaux sociaux, beaucoup estiment que Darmanin cherche à faire de l’Algérie un bouc émissaire pour satisfaire une partie de l’opinion publique française hostile à l’immigration et marquer des points politiques à l’intérieur de l’Hexagone.
Plus encore, certains y perçoivent la volonté arrogante de Paris de rappeler qu’elle demeure la seule à pouvoir donner ou retirer des privilèges. En insistant sur l’idée de frapper la nomenklatura algérienne, Darmanin ravive le sentiment que la France n’a jamais vraiment accepté la pleine souveraineté de l’Algérie, et qu’elle se permet d’user de sanctions pour forcer la main aux dirigeants algériens.
L’Algérie réaffirme sa souveraineté
Face à ces postures jugées inacceptables, Alger a réitéré sa position de principe : le pays ne tolérera aucune atteinte à sa souveraineté, ni aucune ingérence dans ses affaires intérieures. Depuis la capitale algérienne, on rappelle que la coopération franco-algérienne, lorsqu’elle existe, ne peut se faire que sur un pied d’égalité et de respect mutuel. Pour beaucoup d’Algériens, mettre fin à l’accord de 2013 n’a finalement qu’un impact limité sur leur vie quotidienne. Les détenteurs de passeports diplomatiques ne représentent qu’une minorité, souvent composée de hauts fonctionnaires ou de responsables politiques : s’il s’agit d’une «mesure de rétorsion», elle semble avant tout symbolique, destinée à flatter l’électorat français.
Dans les milieux populaires algériens, on perçoit plutôt cette annonce comme un énième «complexe de supériorité» affiché par Paris, qui s’imagine encore pouvoir dicter les règles du jeu. Les gens rappellent volontiers que la France se targue de défendre la liberté d’expression et les droits de l’homme, mais ne tolère aucune contestation quand il s’agit de ses propres décisions d’expulsion ou de sa politique migratoire.
L’affaire Doualemn : un prétexte pour s’en prendre à Alger ?
L’expulsion de l’influenceur Doualemn, puis son renvoi en France par les autorités algériennes, est présentée par le gouvernement français comme une atteinte à sa souveraineté et comme un acte d’«humiliation». Mais cette version des faits est loin de faire l’unanimité en Algérie. Pour de nombreux observateurs sur place, la position de Paris est hypocrite : la France prétend respecter les décisions judiciaires, sauf quand elles viennent de l’Algérie.
D’autant plus que Doualemn, suivi par des milliers de personnes sur TikTok, se trouve au cœur d’un imbroglio diplomatique dont il est peut-être le jouet. Ceux qui le soutiennent en Algérie voient dans cette affaire le bras long de l’État français qui, à travers la menace d’expulsion, entendrait museler toute voix algérienne qui déplairait à Paris. D’autres, plus critiques, estiment que la France instrumentalise ce cas individuel pour se poser en victime et justifier un durcissement de ses positions vis-à-vis d’Alger.
Boualem Sansal : symbole d’un climat délétère ou simple instrument ?
En parallèle, l’arrestation à Alger de l’écrivain franco-algérien Boualem Sansal, 75 ans, malade, alimente la colère de Paris. Or, l’opinion publique algérienne reste divisée à son sujet. Certains intellectuels considèrent que la liberté d’expression doit être préservée et que Sansal, même critique envers le régime, mérite un traitement respectueux. D’autres, plus sceptiques, soutiennent que la France amplifie volontairement cette affaire pour pointer du doigt la «répression» en Algérie, alors qu’elle-même pratique une politique dure envers les ressortissants algériens et envers d’autres minorités en son sein.
Au final, l’affaire Boualem Sansal est devenue, aux yeux de nombreux Algériens, un prétexte commode pour Paris de se présenter en championne des libertés, tout en multipliant les mesures vexatoires à l’égard de la population algérienne. Cette instrumentalisation est d’autant plus mal vécue qu’elle arrive alors que plusieurs intellectuels et artistes algériens se sentent abandonnés par un système politique peu enclin à protéger leurs droits.
L’accord de 1968, un vestige à dénoncer ou un soutien aux Algériens ?
Les menaces brandies contre l’accord de 1968, qui confère aux Algériens un statut migratoire particulier en France, sont perçues à Alger comme une attaque frontale contre les liens humains et historiques unissant les deux pays. D’un côté, nombre de citoyens algériens estiment que cet accord est devenu moins pertinent et pourrait être revu pour s’adapter à la réalité d’aujourd’hui. D’un autre côté, ils déplorent que les responsables français, à l’instar de Gabriel Attal (ex-Premier ministre dans ce scénario) ou de Darmanin, utilisent la remise en cause de cet accord comme une menace à l’encontre de l’Algérie.
Pour la société civile algérienne, la question des visas est sensible : les difficultés à voyager, étudier ou travailler en France sont déjà nombreuses pour les Algériens ordinaires. S’attaquer en plus à l’accord de 1968, c’est rendre encore plus compliquées les démarches de milliers de familles, d’étudiants ou de travailleurs binat ionaux, qui subissent déjà le durcissement des politiques migratoires françaises. La suppression de l’accord de 1968 risquerait, selon eux, de pénaliser davantage les citoyens lambda que la «nomenklatura» visée par Darmanin.
Un bras de fer qui ravive le sentiment nationaliste
En Algérie, les discours de Darmanin et des autres responsables français ne font que renforcer un sentiment nationaliste toujours vivace. Nombre de commentateurs algériens rappellent que la France n’a jamais assumé pleinement ses responsabilités historiques, et que le souvenir de la colonisation hante encore les mémoires. Au lieu de faire preuve d’humilité, Paris multiplie les propos jugés arrogants, alimentant l’idée que la France se considère encore comme une puissance tutélaire.
Ce bras de fer nourrit un consensus rare entre le pouvoir et la population algérienne, tant la pression française est perçue comme illégitime et condescendante. Les médias proches du régime insistent sur la nécessité de tenir tête à «la France officielle», tandis que les réseaux sociaux s’enflamment d’appels à boycotter, voire à sanctionner économiquement, les intérêts français en Algérie. Certains vont jusqu’à réclamer l’expulsion d’entreprises françaises qui, selon eux, profitent depuis des décennies des ressources algériennes sans réelles contreparties pour le pays.
Les risques d’une escalade : qui a vraiment à y perdre ?
Si Alger refuse toute forme de soumission, il est clair qu’une aggravation du conflit diplomatique n’avantage personne. Pourtant, la crispation semble persister. La France paraît déterminée à montrer sa force, quitte à sacrifier une relation pourtant essentielle pour elle sur les plans économique, énergétique et stratégique. De son côté, l’Algérie, l’un des principaux fournisseurs de gaz en Méditerranée, n’a pas forcément intérêt à rompre brutalement les liens, mais s’estime en position de force, considérant que l’Europe a besoin de diversifier ses sources d’approvisionnement.
Pour nombre d’Algériens, si la France persiste à humilier leur pays, celui-ci pourrait resserrer ses liens avec d’autres partenaires, comme la Chine, la Russie ou la Turquie. Les retombées d’un tel basculement géopolitique seraient considérables. Dans les milieux d’affaires algériens, on rappelle qu’une détérioration de la relation avec la France pourrait toutefois freiner certains investissements, notamment dans le secteur automobile ou pharmaceutique où la France demeure active.
La société civile algérienne prise en étau
Le point de vue algérien, souvent absent des médias français, considère que ce sont d’abord les citoyens qui paient les pots cassés. Les familles franco-algériennes, les étudiants, les entrepreneurs, ou encore les universitaires, redoutent des procédures migratoires plus complexes, des restrictions sur les visas, et une multiplication de tracasseries administratives. Beaucoup s’interrogent : la France brandit-elle la suppression de l’accord de 2013 ou la fin de l’accord de 1968 pour faire pression politiquement ? Ou compte-t-elle réellement imposer de nouvelles barrières à tous les Algériens ?
Si Darmanin affirme vouloir cibler la «nomenklatura», l’expérience montre que les mesures restrictives finissent souvent par toucher les plus vulnérables, tandis que les élites politiques trouvent des moyens de contourner les obstacles. La jeunesse algérienne, déjà pénalisée par un manque d’opportunités et un chômage élevé, craint de voir se fermer les rares passerelles vers l’Europe.
Vers un sursaut d’orgueil algérien ?
Dans la presse locale et sur les réseaux sociaux, la réponse la plus répandue à l’égard des déclarations de Darmanin consiste à appeler le gouvernement algérien à faire preuve de fermeté. Certains estiment que l’Algérie doit riposter en suspendant ou en limitant les facilités accordées aux entreprises et diplomates français présents sur le sol algérien. D’autres vont plus loin et suggèrent un boycott des produits français, la fermeture de certains marchés stratégiques, ou encore la mise en place de nouvelles conditions pour que la France puisse continuer à bénéficier de contrats énergétiques avantageux.
Les plus nationalistes y voient l’occasion de rompre une fois pour toutes avec la «Françafrique» et d’affirmer l’émergence d’une Algérie souveraine et puissante, prête à nouer des partenariats «gagnant-gagnant» avec d’autres pays. Reste que ce discours volontariste se heurte parfois à la réalité : la France demeure un partenaire économique de premier plan, et l’Algérie a besoin de débouchés et de technologies étrangères pour moderniser son industrie et diversifier son économie.
Les propos incendiaires de Gérald Darmanin sur la suppression de l’exemption de visa pour les détenteurs de passeports diplomatiques algériens ont déclenché une vague de colère en Algérie, où l’on dénonce une fois de plus l’arrogance de la France et sa tendance à s’ingérer dans les affaires intérieures du pays. Dans un contexte marqué par l’affaire Doualemn et l’arrestation de Boualem Sansal, beaucoup d’Algériens y voient une mise en scène visant à diaboliser Alger et à renforcer la posture sécuritaire de l’Hexagone.
Si la France espère ainsi faire pression sur la «nomenklatura» algérienne, elle prend le risque de braquer davantage la population et le gouvernement, qui refusent de courber l’échine face à ce qu’ils considèrent comme une manœuvre néocoloniale. Le résultat pourrait être une escalade encore plus forte, préjudiciable à la fois à la France, qui a besoin des ressources et de la coopération algériennes, et à l’Algérie, qui demeure dépendante de certains savoir-faire et marchés français.
À l’heure actuelle, l’agacement grandit de jour en jour dans les rues d’Alger, où l’on attend du gouvernement qu’il ne cède à aucune injonction étrangère et qu’il réaffirme la dignité de la nation. Reste à savoir si la France prendra la mesure du sentiment d’exaspération qui règne au Maghreb, ou si elle persistera dans ses politiques jugées vexatoires. Dans tous les cas, les Algériens, fatigués des invectives permanentes de Paris, affirment plus que jamais leur volonté de se faire respecter.