Boualem Sansal, Rima Hassan : Quand la France Se Déchire autour de l’Algérie

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Boualem Sansal, Rima Hassan : Quand la France Se Déchire autour de l’Algérie

La crise entre la France et l’Algérie semble reprendre un second souffle. Jeudi, le Parlement européen a massivement adopté une résolution exigeant la libération « immédiate et sans conditions » de l’écrivain Boualem Sansal, détenu depuis mi-novembre à Alger. Rapidement, les réactions se sont enchaînées des deux côtés de la Méditerranée. En France, cette décision a provoqué une nouvelle flambée de tensions, notamment après le vote contre de plusieurs eurodéputés de La France insoumise, dont Rima Hassan.

Cette dernière, prise pour cible par l’extrême droite et le ministre de l’Intérieur Bruno Retailleau, dénonce une « instrumentalisation du cas Sansal » visant à alimenter une escalade diplomatique avec l’Algérie. Retour sur un épisode qui illustre à quel point le dossier algérien demeure un champ de bataille politique majeur, sur fond de rivalités internes et d’obsessions identitaires.

1. Une résolution européenne sous haute tension

Le texte adopté jeudi par 533 voix contre 24 (et 48 abstentions) demande la libération immédiate de Boualem Sansal. Il met l’accent sur les articles dits « répressifs » du code pénal algérien, notamment le fameux 87 bis, que Sansal aurait violé en tenant des propos sur un hypothétique « territoire marocain tronqué au profit de l’Algérie par le colonialisme français ».

Une initiative de cinq groupes parlementaires

La résolution est le fruit d’une coalition de députés européens issus de cinq groupes politiques. Ces élus affirment vouloir « défendre les droits humains » et dénoncer les atteintes aux libertés d’opinion en Algérie. Ils réclament aussi la révision des lois jugées « liberticides » par leurs soins.

Pourtant, ce texte est loin de faire l’unanimité, y compris au sein du Parlement européen. LFI, la France insoumise, s’est déchirée, une partie votant contre la résolution, une autre s’abstenant. Le reste de la gauche française a condamné le procédé, y voyant les signes d’une « ingérence » inappropriée dans les affaires intérieures de l’Algérie.

Boualem Sansal, un cas hautement symbolique

Arrêté mi-novembre à l’aéroport d’Alger, Boualem Sansal est accusé d’avoir porté atteinte à l’intégrité du territoire national. S’il jouit d’une certaine notoriété en France pour ses écrits critiquant le pouvoir algérien, il est aussi vu dans son pays comme un provocateur, voire un agitateur.

Des propos sur le Maroc controversés

Selon l’accusation, l’écrivain aurait déclaré que le Maroc a été « amputé de territoires » au profit de l’Algérie pendant la colonisation française. Ces propos, très sensibles dans un contexte régional tendu, ont aussitôt fait réagir les autorités algériennes. Ils affirment que Sansal militerait pour des thèses identitaires dangereuses, frisant l’incitation à la discorde régionale.

Un dossier qui divise

En France, ses soutiens soulignent son statut d’écrivain francophone et sa liberté de ton pour justifier leur mobilisation. Certains y voient le symbole d’une Algérie qui réprime la parole critique. À l’inverse, ses détracteurs, comme l’eurodéputée Rima Hassan, estiment que Boualem Sansal propage lui-même un discours identitaire proche de l’extrême droite et qu’il est instrumentalisé à des fins politiques.

Rima Hassan : l’eurodéputée LFI prise dans la tourmente

Lorsque la résolution a été soumise au vote, plusieurs élus de La France insoumise, dont Rima Hassan, ont choisi de s’y opposer. Pour eux, il ne s’agit pas de nier la situation de Boualem Sansal, mais de dénoncer une « instrumentalisation grossière » destinée à ranimer la brouille entre Paris et Alger.

La charge de Bruno Retailleau

Le ministre de l’Intérieur, Bruno Retailleau, furieux de ce vote, a fustigé publiquement Rima Hassan, l’accusant d’« indignité ». Sur les réseaux sociaux, il l’a décrite comme « sombrant dans la honte » en refusant de s’associer à l’appel pour la libération de Boualem Sansal.

Mais Rima Hassan n’a pas tardé à riposter, expliquant qu’elle condamnait les thèses « extrémistes » de l’écrivain et la volonté de la droite la plus dure de monter en épingle ce dossier pour mettre la pression sur l’Algérie. Elle rappelle que, dans le même temps, ces mêmes élus refusent toute résolution sur la situation des civils à Gaza, sur la RDC ou le Soudan, théâtres d’exactions autrement plus graves, selon elle.

La position algérienne : rejet de l’ingérence

De l’autre côté de la Méditerranée, les réactions ne se sont pas fait attendre. Plusieurs partis algériens, dont le RND, ont vertement dénoncé la résolution européenne. Pour eux, il s’agit d’une « ingérence flagrante dans les affaires intérieures de l’Algérie », d’autant plus inacceptable que la justice algérienne est, selon leurs dires, « la seule instance habilitée à traiter des dossiers de citoyens algériens ».

Une souveraineté jalousement gardée

L’Algérie martèle depuis longtemps qu’elle ne cèdera pas à la pression internationale pour ses affaires internes. Qu’il s’agisse de militants politiques, de journalistes ou d’écrivains, Alger insiste sur la « légitimité » de sa justice. Cette posture est récurrente : tout geste perçu comme une ingérence de l’Union européenne, de la France ou d’une autre instance est rejeté en bloc.

Des partis algériens unis sur ce point

Le FLN et El Bina ont aussi fait front commun, jugeant cette résolution « inacceptable » et trahissant « l’arrière-pensée » de certains groupes politiques occidentaux. Il faut dire que dans le contexte d’une Algérie récemment devenue un fournisseur d’énergie plus sollicité en Europe, toute tension peut facilement prendre une ampleur démesurée.

Le rôle de l’extrême droite française dans la surenchère

Pour beaucoup d’observateurs, la crise autour de Boualem Sansal n’est que le énième épisode d’une stratégie de l’extrême droite française visant à diaboliser l’Algérie. Au cours des derniers mois, on a vu cette frange politique multiplier les offensives médiatiques :

  • Attaques contre l’immigration algérienne, jugée « incontrôlée » malgré les données officielles indiquant le contraire.
  • Critiques acerbes à l’encontre d’Alger à chaque soubresaut diplomatique, comme l’affaire des influenceurs arrêtés pour « appels à la violence ».
  • Réflexions agressives autour des accords bilatéraux, notamment celui de 1968, facilitant le séjour et l’emploi des Algériens en France.

Une volonté de pousser à l’escalade

Pour ces ultraconservateurs, chaque crise est une opportunité de fustiger l’Algérie. L’optique est de montrer à l’opinion publique que le gouvernement, sous leur impulsion, adopte enfin une ligne « ferme » face à Alger. Certains ministres, dont Bruno Retailleau, s’affichent fièrement en pourfendeurs d’une Algérie décrite comme « arrogante » et « hostile ».

L’argumentaire de Rima Hassan : une double dénonciation

Dans ses prises de parole, Rima Hassan pointe deux aspects majeurs. D’une part, la manipulation du cas Sansal pour servir des fins politiques, voire idéologiques. D’autre part, le silence assourdissant des mêmes défenseurs de l’écrivain lorsqu’il s’agit de conflits de grande ampleur.

Un écrivain défendant des « thèses identitaires » ?

L’eurodéputée LFI accuse Boualem Sansal de véhiculer des discours proches de l’extrême droite : rhétorique du grand remplacement, propos stigmatisants à l’égard des exilés. Selon Hassan, on ne peut pas à la fois s’indigner du sort d’un homme et ignorer les idées qu’il propage. Elle souligne également que le texte européen serait parrainé par Marion Le Pen, figure de proue de l’extrême droite.

« Où est la cohérence ? »

Outre ce constat, Hassan regrette que ceux qui se disent bouleversés par le cas Sansal refusent toute initiative humanitaire envers d’autres régions en crise, comme Gaza ou la RDC. Elle y voit la preuve d’une instrumentalisation : l’indignation n’est pas générale, mais sélective et ciblée, toujours orientée contre l’Algérie.

Les impacts sur la relation franco-algérienne

Alors que Paris et Alger semblaient amorcer un timide rapprochement, cette nouvelle polémique risque de jeter à nouveau de l’huile sur le feu. L’Algérie, attachée à sa souveraineté, ne manquera pas de dénoncer les pressions européennes. Le gouvernement français, déjà divisé sur la question algérienne, se retrouve en porte-à-faux.

Un regain de tensions diplomatiques ?

La résolution du Parlement européen s’ajoute à la liste des griefs récents : affaire des influenceurs algériens, prises de position tonitruantes de Bruno Retailleau, critiques sur la Grande Mosquée de Paris… Chaque nouvel épisode ébranle un peu plus la fragile relation bilatérale.

Le rejet d’une « extrême droite revancharde »

Du côté algérien, on observe cette surenchère comme le reflet de ce qu’ils appellent la « nostalgie coloniale ». Certains responsables à Alger estiment que l’extrême droite française instrumentalise la haine de l’Algérie pour séduire une partie de l’électorat, flattant des réflexes xénophobes et un désir de revanche sur l’Histoire.

Perspectives et scénario d’évolution

Même si l’Algérie ne cédera pas à cette pression, la question demeure : comment la France va-t-elle gérer cette crise interne, au moment où elle cherche à préserver une collaboration énergétique et sécuritaire avec Alger ?

Les scénarios possibles

  1. Apaisement progressif : L’Élysée et le Quai d’Orsay pourraient chercher à minimiser les effets de la résolution, en expliquant que la politique étrangère de la France ne se décide pas au Parlement européen. Alger, de son côté, pourrait temporiser et ne pas trop répliquer, pour éviter d’aggraver une situation déjà complexe.
  2. Poursuite de la tension : L’extrême droite, encouragée par certains ministres, continue de défier l’Algérie. De nouvelles polémiques surgissent, alimentant la défiance d’Alger et fragilisant les coopérations bilatérales.
  3. Nouvelles initiatives législatives : Certains parlementaires pourraient proposer de restreindre encore les liens avec l’Algérie, qu’il s’agisse d’accords de mobilité ou de partenariats économiques. Cela accentuerait les crispations.

Conclusion

Entre la résolution du Parlement européen, la controverse autour de Rima Hassan et la réplique d’Alger, la relation franco-algérienne traverse une zone de turbulences. Les positions radicales, portées par l’extrême droite, semblent gagner du terrain dans le débat public français, faisant de l’Algérie un bouc émissaire idéal pour ressouder un discours identitaire.

Du côté algérien, le rejet de toute ingérence demeure un pilier incontournable de la politique étrangère. L’affaire Boualem Sansal, loin d’être un simple dossier judiciaire, est donc devenue un nouveau front où se confrontent visions divergentes et intérêts stratégiques.

Dans ce climat, la posture de Rima Hassan suscite une vive polémique, mais dévoile aussi le double jeu de certains acteurs politiques, prompts à s’indigner pour un écrivain jugé proche de l’extrême droite, et silencieux sur d’autres drames internationaux. Quoi qu’il advienne, cette escalade laisse entrevoir une prolongation des tensions, avec pour conséquence une fragilisation de la scène diplomatique déjà éprouvée par la crise entre la France et l’Algérie.

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