Tendances food 2024 : comment la pâte à tartiner algérienne El Mordjene a conquis le monde ?

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Tendances food 2024 : comment la pâte à tartiner algérienne El Mordjene a conquis le monde ?

L’année 2024 a vu l’émergence de tendances culinaires inédites et parfois inattendues, bouleversant les habitudes des consommateurs. Parmi ces innovations, une marque algérienne s’est imposée avec fracas : El Mordjene. Cette pâte à la crème de noisettes, produite par l’entreprise Cebon, a fait l’objet d’un véritable engouement à l’échelle internationale, au point de figurer dans le top 3 des tendances food d’Uber Eats pour l’année 2024.

Alors que le marché des pâtes à tartiner est traditionnellement dominé par des géants industriels, comment un produit 100 % algérien a-t-il pu s’imposer ainsi, au point de susciter un enthousiasme démesuré sur les réseaux sociaux et dans de nombreux pays ? Ce succès fulgurant, bien qu’entravé par une interdiction de commercialisation en Union européenne, continue de fasciner professionnels et amateurs de plaisirs gourmands. Dans cet article, nous analyserons les origines de ce succès, les mécanismes de sa viralité et les défis auxquels fait face El Mordjene, sans oublier de décrypter l’impact que ce phénomène pourrait avoir sur l’industrie agroalimentaire algérienne et la place du pays dans le paysage culinaire mondial.

Un succès gourmand : des réseaux sociaux jusqu’aux palais des fins gourmets

L’ascension fulgurante d’El Mordjene en 2024

Les chiffres parlent d’eux-mêmes : selon Uber Eats, El Mordjene figure aux côtés des Franui (ces fameuses framboises enrobées de chocolat argentines) et du chocolat à la pistache « Made in Dubaï » comme l’une des trois tendances food les plus marquantes de l’année 2024. Lorsque l’on sait à quel point les goûts et les modes peuvent être volatiles en matière de gastronomie, cette consécration tient presque du prodige.

Pour comprendre ce succès, il convient d’abord de s’intéresser à l’année 2024 dans son ensemble. Sous l’impulsion d’une forte digitalisation de la consommation et d’un regain d’intérêt pour l’exotisme culinaire, les consommateurs se sont montrés particulièrement curieux envers les nouveautés proposées hors des circuits habituels. L’effet de surprise et la recherche de saveurs différentes ont ainsi dopé la notoriété de la pâte à tartiner El Mordjene, qui a rapidement envahi les réseaux sociaux comme TikTok, Instagram ou encore YouTube. Des influenceurs célèbres y ont consacré des vidéos de dégustation, cumulant des millions de vues et propulsant la crème de noisettes algérienne sur le devant de la scène.

Une popularité virale portée par les influenceurs

L’un des facteurs déterminants de la viralité d’El Mordjene réside dans sa présence sur les plateformes sociales. Plusieurs influenceurs spécialisés dans le domaine culinaire, ou plus généralement lifestyle, ont vanté ses mérites. Les commentaires élogieux décrivent la pâte comme « onctueuse », « sucrée », avec un goût de noisettes rappelant la célèbre crème employée dans les Kinder Bueno. Ces adjectifs simples, mais efficaces, ont suffi à créer un élan d’engouement.

La stratégie marketing mise en place par Cebon, ou du moins le phénomène organique de recommandation, semble avoir joué à plein. Les dégustations filmées, les recettes partagées et les découvertes en direct ont nourri un storytelling fort autour d’El Mordjene. Chaque vidéo, parfois sponsorisée ou parfois réalisée spontanément par des amateurs passionnés, a amplifié la curiosité des internautes. Résultat : le hashtag #ElMordjene a explosé en popularité, cumulant plusieurs dizaines de millions de vues en seulement quelques mois.

Une reconnaissance institutionnelle en Algérie

Bien avant son sacre international, El Mordjene avait déjà connu une forme de consécration dans son pays d’origine. Élue « produit de l’année » par les consommateurs algériens durant trois années consécutives, la pâte à tartiner jouissait d’une solide réputation locale. Les Algériens de la diaspora, présents en France, en Italie, au Canada ou encore au Moyen-Orient, ont donc naturellement joué le rôle d’ambassadeurs en faisant connaître la marque à leurs proches et à leur cercle social.

Ce schéma, où la diaspora agit comme vecteur d’un produit national, n’est pas nouveau. En revanche, sa portée a été démultipliée par l’usage intensif d’Internet et des réseaux sociaux. Les Algériens expatriés ont ainsi pu commander, faire découvrir ou rapporter El Mordjene lors de leurs voyages, contribuant à son rayonnement à l’étranger.

Les ingrédients du succès : qualité, nostalgie et authenticité

Une recette singulière, entre tradition et modernité

La pâte à tartiner El Mordjene se distingue par un goût franc de noisette et une texture qui n’est pas sans rappeler certaines références italiennes ou germaniques sur le marché. Il serait cependant réducteur de la comparer à des marques déjà existantes, car la crème algérienne propose une identité propre, issue du savoir-faire local.

Selon le magazine Oh ! Mymag, El Mordjene a su mêler l’authenticité des noisettes soigneusement sélectionnées à une recette modernisée. L’ajout d’ingrédients naturels et la suppression de certains additifs controversés (souvent présents dans des pâtes à tartiner industrielles) renforcent encore son attrait. Cette démarche qualitative, répondant aux préoccupations d’une frange de plus en plus large de consommateurs en quête de produits « clean », ne pouvait qu’accroître la visibilité et la réputation de la marque.

Une marque au storytelling fédérateur

Outre la qualité gustative, El Mordjene est portée par un storytelling valorisant l’excellence algérienne. L’entreprise Cebon, qui la produit, met en avant son ancrage local et ses efforts pour innover au sein d’un marché dominé par les grandes multinationales. Cette fierté nationale sert à la fois la curiosité des étrangers, qui y voient un produit « exotique », et suscite la nostalgie des Algériens expatriés, heureux de retrouver un goût de leur pays.

La nostalgie joue souvent un rôle déterminant dans la popularité des produits ethniques ou traditionnels. Les médias sociaux regorgent ainsi de témoignages de jeunes Algériens vivant à l’étranger, exprimant leur joie de pouvoir enfin goûter ou retrouver la saveur El Mordjene. Cet aspect émotionnel a grandement contribué à en faire un produit viral, au-delà de son simple usage alimentaire.

Un parallèle avec la success story de marques turques ou marocaines

Le phénomène El Mordjene rappelle, dans une certaine mesure, la montée en puissance d’autres marques agroalimentaires originaires de pays émergents (Turquie, Maroc, Liban, etc.). Ces marques ont souvent tiré profit d’un mélange de traditions culinaires anciennes et d’une adaptation à des marchés internationaux. Dans un monde où les consommateurs recherchent de plus en plus des produits inédits, l’authenticité est un argument massue.

Ainsi, El Mordjene ne fait pas que surfer sur la vague de l’exotisme ; elle propose un produit véritablement adapté aux attentes contemporaines, alliant indulgence, qualité et authenticité culturelle. Ce mariage lui confère un avantage concurrentiel non négligeable sur un marché saturé de pâtes à tartiner uniformisées.

Un succès entravé par l’interdiction de commercialisation en Europe

Les raisons de l’interdiction

Depuis septembre 2024, l’Union européenne interdit officiellement la commercialisation d’El Mordjene. Les motifs exacts de cette décision restent à préciser. Plusieurs hypothèses circulent, allant de la présence d’additifs non autorisés par la réglementation européenne à des désaccords sur la traçabilité des noisettes ou sur l’étiquetage nutritionnel.

Le silence relatif de Bruxelles et de l’entreprise Cebon sur les détails de cette interdiction nourrit nombre de spéculations. Certains commentateurs y voient un simple « couac » administratif, tandis que d’autres évoquent la pression exercée par des lobbies protecteurs de marques concurrentes. L’impact de cette interdiction est néanmoins concret : El Mordjene ne peut plus être vendue dans le commerce traditionnel au sein de l’UE.

Les effets paradoxaux de l’interdiction

Sur le terrain, l’interdiction a eu un effet paradoxal. Au lieu de faire oublier la marque, elle semble avoir renforcé son aura d’« exclusivité ». En France, par exemple, la popularité d’El Mordjene se maintient grâce à un marché noir ou des circuits parallèles. Des passionnés n’hésitent pas à s’échanger des pots sous le manteau, ce qui contribue à forger une image clandestine et désirable autour du produit.

Cette situation rappelle d’autres exemples dans l’histoire de la consommation : l’absence d’un produit au sein d’un marché peut accroître son attrait, créant une forme de mystique et alimentant encore plus la demande. Certains médias français n’ont pas manqué de souligner cette « ruée secrète » vers la pâte à tartiner algérienne, au point qu’elle est parfois comparée à un Graal gourmand que les foodies doivent absolument dénicher.

La riposte de Cebon ?

Rien n’indique pour l’instant que l’entreprise Cebon soit en mesure de lever rapidement l’interdiction européenne. Toutefois, la société a tout intérêt à clarifier la situation, à se conformer aux normes de l’UE si c’est la principale entrave, et à mener d’éventuels recours juridiques si elle estime l’interdiction injustifiée.

L’enjeu dépasse le simple cas de la pâte El Mordjene : il concerne la capacité de l’agro-industrie algérienne à répondre aux standards internationaux. En cas de succès, Cebon ouvrirait la voie à d’autres entreprises désireuses d’exporter plus largement leurs produits, renforçant la place de l’Algérie dans le commerce agroalimentaire mondial.

Une expansion vers les pays du Golfe et l’Afrique

L’exportation dans le Golfe : un eldorado pour El Mordjene

Malgré les difficultés rencontrées en Europe, El Mordjene a su trouver d’autres débouchés, notamment dans les pays du Golfe. Le Qatar, les Émirats arabes unis et l’Arabie saoudite représentent des marchés attractifs, en pleine croissance et souvent ouverts aux nouveautés culinaires.

Les distributeurs locaux se sont montrés intéressés par un produit à la fois premium et exotique. Les salons professionnels du secteur alimentaire organisés dans ces pays ont été l’occasion pour Cebon de présenter El Mordjene, suscitant un véritable engouement. Des accords de distribution ont été conclus, aboutissant à une présence remarquée du produit dans les rayons de certaines grandes enseignes locales.

Une opportunité sur le continent africain

Au-delà du Golfe, l’Afrique subsaharienne pourrait constituer un marché d’avenir pour El Mordjene. Plusieurs pays d’Afrique de l’Ouest, par exemple, connaissent un développement rapide de leur classe moyenne, avide de produits nouveaux. L’Algérie, de par sa proximité géographique et culturelle, pourrait tirer parti de ces dynamiques pour renforcer l’influence de ses marques agroalimentaires.

La stratégie de Cebon dans ce sens reste à clarifier, mais certains indices laissent penser que l’entreprise a déjà entamé des démarches pour s’implanter dans d’autres pays africains. Le succès d’El Mordjene serait alors un symbole fort du potentiel panafricain de l’industrie alimentaire algérienne.

Les enjeux économiques et socioculturels en Algérie

Un levier de diversification économique

Le cas El Mordjene illustre la capacité de l’Algérie à diversifier son économie, souvent trop dépendante des hydrocarbures. Le secteur agroalimentaire, s’il est soutenu par une politique appropriée, peut générer de la valeur ajoutée, de l’emploi et des retombées en devises importantes grâce à l’export.

Le gouvernement algérien, conscient de l’importance de réduire la vulnérabilité aux fluctuations des cours du pétrole, pourrait voir dans cette success story un modèle à reproduire. Soutenir l’innovation, encourager les entreprises locales à se conformer aux normes internationales et à investir dans la recherche et le développement : autant de pistes qui permettraient à d’autres acteurs de suivre la voie tracée par El Mordjene.

Renforcement de la fierté nationale

Sur le plan socioculturel, l’impact est également considérable. Le succès d’El Mordjene suscite une fierté nationale palpable, dans un contexte où la reconnaissance internationale de produits algériens n’est pas toujours évidente. Cette fierté va au-delà de la simple communauté algérienne : elle touche aussi les amateurs de gastronomie curieux de découvrir des saveurs du Maghreb.

Des associations et des médias locaux n’hésitent plus à faire de la crème de noisettes un porte-étendard du « made in Algeria », tout comme certaines exportations artisanales (telles que l’huile d’olive ou le miel de certaines régions) ont pu l’être par le passé. Cette dynamique contribue à raffermir l’identité culinaire de l’Algérie, encore peu mise en valeur à l’international.

Le phénomène El Mordjene vu par les experts en marketing

Un cas d’école pour l’étude du bouche-à-oreille 2.0

Des spécialistes en marketing digital pointent El Mordjene comme un exemple paradigmatique de la puissance du bouche-à-oreille à l’ère des réseaux sociaux. À l’opposé des stratégies publicitaires traditionnelles, le succès de la pâte à tartiner a reposé principalement sur la recommandation spontanée d’internautes conquis par son goût.

Les vidéos de dégustation, les avis enthousiastes et la facilité de partage sur les plateformes numériques ont permis à la marque de toucher un public mondial en un temps record, sans investissement massif dans des campagnes de communication classiques. Des articles dans la presse internationale ont ensuite validé ce succès, lui conférant davantage de crédibilité.

Le poids des influenceurs et des micro-communautés

Un autre aspect souvent souligné concerne l’implication d’influenceurs de niche, parfois moins célèbres que les grandes stars du web, mais plus spécialisés et perçus comme authentiques par leur audience. Ces micro-communautés, rassemblées autour d’intérêts précis comme la pâtisserie, la cuisine de terroir ou l’exploration de produits du monde, ont agi comme des multiplicateurs de curiosité.

Le potentiel viral d’El Mordjene a également été catalysé par la diaspora algérienne, particulièrement active en ligne, qui a apporté une caution affective et identitaire. Les Algériens expatriés ont souvent présenté la crème de noisettes comme un « symbole de la maison », ce qui a encouragé leurs amis ou abonnés non algériens à la tester.

Perspectives d’avenir et pistes de développement

Vers un assouplissement en Europe ?

La question de l’avenir d’El Mordjene sur le Vieux Continent demeure cruciale. Certains estiment qu’un assouplissement de l’interdiction pourrait intervenir si Cebon répond aux exigences réglementaires européennes. À moins que les obstacles ne soient d’ordre politique ou liés à une concurrence féroce.

Quoi qu’il en soit, le potentiel commercial reste colossal. L’engouement en France prouve que le marché européen est demandeur. Si la marque parvient à régulariser sa situation, elle pourrait s’implanter dans de nombreuses enseignes, séduisant aussi bien les communautés maghrébines en quête de produits familiers que les consommateurs hexagonaux friands de nouveautés.

Diversification de la gamme

D’un point de vue stratégique, on peut aussi imaginer que Cebon capitalise sur le succès d’El Mordjene pour développer d’autres produits dérivés : barres chocolatées à la crème de noisettes, biscuits fourrés, ou même déclinaisons pour les régimes spéciaux (réduites en sucre, végétaliennes, etc.). La marque pourrait ainsi consolider sa notoriété et fidéliser une clientèle avide de déclinaisons savoureuses.

Cette diversification renforcerait la visibilité internationale du groupe, tout en permettant de mieux amortir les aléas réglementaires ou les variations de prix des matières premières. Des partenariats avec de grands distributeurs ou des plateformes de commerce en ligne pourraient alors accélérer cette expansion.

Un modèle de soft power algérien ?

Plus largement, le succès d’El Mordjene interroge la dimension de soft power que l’Algérie peut exercer à travers sa gastronomie. De nombreux pays, tels que l’Italie, la France ou le Japon, ont su faire de leurs spécialités culinaires un vecteur d’influence culturelle. L’Algérie, riche d’un patrimoine gastronomique varié (couscous, mhajeb, chorba, etc.), n’exploitait pas pleinement ce levier.

La reconnaissance d’El Mordjene à l’échelle planétaire pourrait inciter les décideurs algériens et les acteurs privés à valoriser d’autres produits du terroir. À l’instar de ce que le Maroc a entrepris pour l’huile d’argan ou la Tunisie pour son huile d’olive, l’Algérie pourrait œuvrer à protéger, promouvoir et exporter davantage sa culture culinaire, en s’appuyant sur des success stories comme celle de la pâte à tartiner.

quand la crème de noisettes devient un emblème national

Avec sa présence dans le top 3 des tendances food d’Uber Eats en 2024, El Mordjene symbolise la capacité d’une entreprise algérienne à rivaliser avec les plus grandes marques du secteur agroalimentaire. Ce phénomène viral, alimenté par les réseaux sociaux et l’enthousiasme d’une diaspora influente, démontre que la qualité et l’authenticité peuvent triompher face à des multinationales solidement implantées.

Néanmoins, le chemin n’est pas dépourvu d’obstacles : l’interdiction de commercialisation en Union européenne met en évidence la complexité des enjeux réglementaires, tandis que l’expansion vers d’autres marchés (pays du Golfe, Afrique subsaharienne, Amérique du Nord) exige des efforts logistiques et un alignement sur des normes internationales strictes.

Si Cebon parvient à lever ces barrières et à maintenir l’exigence de qualité qui a fait sa renommée, El Mordjene pourrait bien devenir un produit phare représentant l’Algérie sur la scène culinaire mondiale. L’engouement suscité par cette pâte à tartiner rejaillit déjà positivement sur l’image du pays, donnant une nouvelle impulsion à une industrie agroalimentaire qui entend s’affranchir de sa traditionnelle dépendance aux hydrocarbures.

Au-delà d’un simple phénomène de mode, El Mordjene incarne la promesse d’un renouveau pour l’entrepreneuriat algérien. Son succès est un signal fort envoyé aux jeunes marques nationales : l’innovation, soutenue par une démarche de qualité et une communication maîtrisée, peut conquérir le monde, quel que soit le point de départ. Dans les années à venir, il sera passionnant de suivre l’évolution de la marque sur les différents continents, ainsi que l’impact de ce succès sur la dynamique économique et culturelle de l’Algérie.

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