Tebboune Écarte le Président de la Cour des Comptes : Une Page se Tourne Après 30 Ans de Règne

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Tebboune Écarte le Président de la Cour des Comptes : Une Page se Tourne Après 30 Ans de Règne

Le président algérien Abdelmadjid Tebboune vient de mettre fin aux fonctions d’Abdelkader Benmarouf, président de la Cour des comptes depuis près de 30 ans. Par un décret publié au Journal officiel n°3, M. Benmarouf se voit admis à la retraite, sans qu’un successeur ne soit annoncé pour l’instant. Cette décision, d’apparence administrative, soulève d’importantes questions sur l’avenir de l’une des institutions clés du contrôle des finances publiques en Algérie.

Depuis sa nomination, le 20 mars 1995, Abdelkader Benmarouf a incarné la stabilité – voire l’immobilisme – d’une entité chargée de surveiller l’utilisation des ressources publiques. Son départ intervient juste après la publication d’un rapport crucial sur la gestion financière de l’année 2024. Dans un pays où la transparence budgétaire et la lutte contre la corruption sont devenues des priorités affichées, ce changement de tête à la Cour des comptes pourrait annoncer une ère nouvelle. Toutefois, la prudence reste de mise : le nom du futur président n’est pas encore connu, et l’ampleur des réformes dépendra largement de la volonté politique des plus hautes sphères.

La Cour des Comptes : Un Pilier Institutionnel Sous Pression

La Cour des comptes est instaurée par l’article 190 de la Constitution de 1976. Elle est réaffirmée par plusieurs constitutions ultérieures, dont celle de 1989 (article 160) et celle de 1996 (article 170). Son rôle est clairement défini : assurer un contrôle à posteriori de l’utilisation des ressources publiques et veiller à la régularité des dépenses.

Une Mission de Contrôle et de Transparence

  • Contrôle de la dépense publique : La Cour des comptes doit vérifier la conformité des actes financiers des organismes d’État et des entreprises publiques. En d’autres termes, elle évalue si l’argent du contribuable est utilisé de manière légale et efficace.
  • Lutte contre la fraude : L’institution contribue à lutter contre la corruption, la fraude et les malversations dans la gestion du budget de l’État.
  • Amélioration de l’efficience : Son action n’est pas seulement répressive. Elle vise aussi à encourager une meilleure gouvernance et à promouvoir la transparence.

Pourtant, la Cour des comptes est souvent critiquée pour son manque de moyens et la lenteur de ses procédures. Certains lui reprochent d’être plus un organe de constat qu’un véritable outil de sanction.

Le Défi de l’Indépendance

Pour exercer son rôle, la Cour des comptes doit jouir d’une indépendance réelle vis-à-vis du pouvoir exécutif. Or, en Algérie, les observateurs relèvent régulièrement une collusion entre les institutions de l’État. Les nominations au sein de l’appareil judiciaire et des organes de contrôle sont souvent guidées par des considérations politiques. Le départ d’Abdelkader Benmarouf, après 30 ans de présence à la tête de la Cour, pourrait ouvrir la voie à un renforcement de cette indépendance, si le nouveau président dispose d’une réelle marge de manœuvre.

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Trois Décennies à la Tête de l’Institution

Nommé le 20 mars 1995, Abdelkader Benmarouf a traversé plusieurs phases politiques : la période post-crise des années 1990, l’essor des années 2000 marqué par les revenus pétroliers, puis l’entrée dans une nouvelle ère avec l’arrivée du président Tebboune. Pendant ces trois décennies, le pays a connu de profondes mutations, mais la Cour des comptes est restée en retrait par rapport aux attentes de la société civile en matière de transparence financière.

Une Fin de Mandat Qui Fait Parler

Le décret présidentiel précisant qu’Abdelkader Benmarouf est « admis à la retraite » ne laisse guère de place à l’ambiguïté. Officiellement, il s’agit d’une cessation de fonctions liée à son âge et à la durée de son mandat. Pourtant, le timing – quelques semaines après la publication du rapport sur l’exercice 2024 – interpelle. Certains y voient un acte politique fort : Tebboune souhaite-t-il marquer sa différence en nommant un nouveau visage plus en phase avec ses ambitions de « nouvelle Algérie » ? Ou s’agit-il d’une simple mesure administrative, le président de la Cour des comptes ayant atteint la limite d’âge ?

Un Rapport 2024 Sous les Projecteurs

Le rapport de la Cour des comptes sur la gestion 2024 est paru le 15 décembre. Il contient, selon des sources médiatiques, des observations sur la gestion de certains secteurs clés. Des critiques ont été émises sur le manque de rigueur dans l’exécution budgétaire ou la persistance de dysfonctionnements dans les établissements publics. Même s’il n’y a pas eu de scandale majeur révélé, la question demeure : le départ de M. Benmarouf est-il lié au contenu de ce rapport ?

Les Enjeux d’un Renouvellement à la Tête de la Cour

Un Défi de Modernisation

Avec le départ de son président, la Cour des comptes peut amorcer un chantier de modernisation. Plusieurs défis sont sur la table :

  • Renforcer les effectifs : De nombreux experts pointent le sous-effectif de l’institution. Plus de magistrats financiers, de comptables et d’auditeurs spécialisés seraient nécessaires pour couvrir l’ensemble du territoire national.
  • Accroître la visibilité : La publication régulière des rapports, leur diffusion auprès du grand public et la collaboration avec les médias pourraient améliorer l’impact de la Cour sur la société.
  • Mieux sanctionner : Aujourd’hui, la Cour met surtout en évidence des irrégularités. Elle manque d’outils pour imposer des sanctions ou saisir la justice. Un arsenal légal plus solide pourrait dissuader les gestionnaires publics de commettre des abus.

L’Espoir d’un Relais Politique

Le président Tebboune a placé la lutte contre la corruption au cœur de sa politique. Les affaires judiciaires liées à des anciens dignitaires, comme des ex-Premiers ministres ou ministres, ont déjà marqué l’opinion publique. Le nouveau dirigeant de la Cour des comptes pourrait, s’il bénéficie d’un soutien présidentiel sincère, apporter un second souffle dans cette bataille.

Dans le même temps, si la volonté politique n’est pas suivie d’actes concrets, la Cour des comptes risque de rester une coquille presque vide. Tout dépendra de la personnalité nommée, de son réseau, et de son indépendance réelle par rapport au pouvoir exécutif.

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Un Signal au Monde des Affaires

L’Algérie, riche en hydrocarbures, a besoin d’investissements étrangers et locaux pour diversifier son économie. Or, la crédibilité des institutions financières et de contrôle est un critère important pour les investisseurs. Le départ d’Abdelkader Benmarouf et la possible nomination d’un profil plus dynamique pourraient envoyer un signal positif, prouvant que le pays se donne les moyens de contrôler la dépense publique.

La Société Civile en Attente

Au sein de la société civile, beaucoup réclament plus de transparence. Les organisations et militants qui suivent les affaires de corruption espèrent que la Cour des comptes publiera ses rapports plus fréquemment et de manière détaillée. Ils voudraient voir des enquêtes approfondies sur des dossiers sensibles, comme la gestion des entreprises publiques, l’attribution des marchés ou le suivi des grands projets.

Des Obstacles Persistants

Toutefois, la hiérarchie administrative et les réseaux d’influence restent puissants en Algérie. Sans un élan collectif, il sera difficile de surmonter la lourdeur bureaucratique et les résistances internes. Par ailleurs, certaines personnalités politiques pourraient craindre qu’un renforcement des pouvoirs de la Cour des comptes ne devienne une arme à double tranchant.

Conclusion

Avec le départ d’Abdelkader Benmarouf, la Cour des comptes algérienne arrive à un tournant historique. Après presque 30 ans d’un mandat qui a traversé plusieurs ères politiques, l’institution a besoin d’un souffle nouveau pour affirmer son rôle de gardienne de la transparence financière. L’enjeu est considérable : sur le plan intérieur, la population réclame depuis longtemps des mécanismes de contrôle plus efficaces ; à l’international, la crédibilité du pays passe aussi par la qualité de ses instances de régulation.

Le président Tebboune, en prenant cette décision, a envoyé un message clair : il souhaite rompre avec l’immobilisme. Mais la portée de ce changement dépendra du profil du futur président de la Cour des comptes et du soutien concret que lui apportera le pouvoir exécutif. Sera-t-il un simple relai au service d’une politique déjà écrite ? Ou un véritable acteur de la réforme, capable d’imposer un contrôle indépendant et intransigeant ?

En attendant, les Algériens restent spectateurs de ce remaniement. Certains y voient le signe d’une volonté d’assainir la gestion publique, tandis que d’autres craignent un simple « jeu de chaises musicales ». Au final, seul le temps dira si la Cour des comptes gagnera en influence et en indépendance, ou si elle continuera à vivre dans l’ombre d’un exécutif souvent réticent à rendre des comptes.

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