L’Algérie a décidé de revoir à la baisse le plafond des devises que ses ressortissants et les non-résidents peuvent exporter annuellement. Un règlement de la Banque d’Algérie, publié le 21 novembre dernier, fixe désormais ce plafond à 7 500 euros (ou équivalent dans une autre monnaie étrangère) par année civile. Cette réforme suscite interrogations et débats, surtout parmi les voyageurs habitués à disposer d’une plus grande marge de manœuvre.
Le gouvernement algérien vient de détailler les motifs de cette nouvelle mesure dans une réponse au député Ahmed Rebhi. L’objectif affiché ? Contrôler plus efficacement le marché des devises, encourager l’usage des cartes bancaires internationales et, in fine, lutter contre le marché noir.
Pourquoi un nouveau plafond de 7 500 euros ?
Contrôler la masse monétaire en devises
Le ministre des Finances, dans sa réponse écrite, explique que cette mesure ambitionne de « contrôler la masse monétaire en devises qui circule sur le marché afin de l’intégrer dans le circuit bancaire officiel ». Autrement dit, il s’agit d’éviter que de trop grandes quantités de devises échappent à la surveillance des institutions financières et alimentent le marché parallèle.
Le montant maximal de 7 500 euros par année civile constitue une rupture nette avec la précédente réglementation, qui permettait le même plafond mais par voyage. Désormais, un voyageur algérien ne pourra plus multiplier les sorties pour exporter de fortes sommes. En clair, l’État cherche à mettre un frein au phénomène de « fractionnement » des devises sur plusieurs déplacements.
Stimuler la confiance dans le système bancaire
Parallèlement, le gouvernement veut renforcer l’attrait des banques. Pour convaincre les citoyens de déposer leurs devises dans un circuit formel, la Banque d’Algérie et les établissements financiers encouragent l’ouverture de comptes en devises, soutenus par des services comme les transferts à l’étranger et le paiement via des cartes bancaires internationales.
Selon le ministre des Finances, l’idée est de pousser les Algériens à opter pour des solutions modernes plutôt que de conserver des sommes importantes en liquide ou de recourir au marché parallèle. Dans la foulée, l’usage accru de cartes bancaires, traçables et sécurisées, devrait réduire les risques liés au transport de devises en espèces.
Les principales dispositions expliquées
Une seule somme par an, fractionnée ou non
La réglementation précise que le montant de 7 500 euros par année civile peut être emporté en une seule fois ou fractionné sur plusieurs voyages. Le voyageur reste toutefois obligé de présenter un justificatif bancaire prouvant l’origine légale de ces fonds.
Par ailleurs, pour ceux qui voyagent régulièrement, la règle devient contraignante : plus question de dépasser le plafond global de 7 500 euros, sous peine de s’exposer à des sanctions douanières. Cette nouvelle donne nécessite donc une meilleure planification, notamment pour les entrepreneurs ou les touristes habitués à multiplier les déplacements.
Le cas de la diaspora
Le ministre des Finances précise que la mesure ne pénalise pas les Algériens de l’étranger. Ces derniers peuvent importer et exporter sans plafond les montants en devises qu’ils possèdent, à condition de présenter la preuve de leur déclaration aux douanes lors de l’entrée sur le territoire. Quant à la possibilité d’ouvrir un compte en devises en Algérie, elle demeure toujours valable.
En clair, la diaspora conserve un statut dérogatoire pour ce qui est de l’import-export de devises, dès lors qu’elle respecte les formalités douanières. La mesure de plafonnement vise essentiellement les résidents algériens ou les non-résidents effectuant des séjours réguliers en Algérie et sortant du pays.
Lutte contre le marché noir : quels impacts ?
Un marché parallèle tenace
Depuis plusieurs années, les autorités algériennes cherchent à endiguer le marché noir des devises. Souvent, les Algériens se tournent vers des canaux informels pour acquérir ou vendre de l’euro ou du dollar à des taux plus avantageux que ceux proposés par les banques. Cette disparité aggrave la fuite des devises hors du système bancaire et complique la gestion de la politique monétaire.
Avec cette nouvelle réglementation, l’État entend limiter le flux de devises qui « alimentent » le marché noir. En contraignant les voyageurs à justifier l’origine de leurs fonds et à ne pas dépasser 7 500 euros par an, les autorités espèrent réduire la disponibilité de liquidités sur les circuits parallèles.
Des critiques sur l’efficacité
Certains observateurs s’interrogent sur l’efficacité réelle de cette mesure. Le marché parallèle se nourrit aussi de transferts informels, souvent anonymes, qui passent par des réseaux non officiels. Les trafiquants de devises pourraient multiplier les « mules » ou choisir d’autres méthodes pour contourner le plafond.
Cependant, le ministère mise sur un effet dissuasif : la multiplication des contrôles, l’obligation de déclarer l’origine des fonds et la perspective de sanctions pourraient inciter une partie des citoyens à rentrer dans le rang, ou à opter pour la banque et les cartes internationales.
Une modernisation des moyens de paiement
Les cartes bancaires internationales
Le point-clé de la réforme, selon le gouvernement, réside dans la promotion des cartes bancaires internationales. Les titulaires d’un compte en devises peuvent désormais effectuer leurs achats à l’étranger ou sur internet sans transporter de grosses sommes en liquide. Cette digitalisation facilite la traçabilité des transactions et diminue les risques de vol ou de perte.
Si cette démarche est classique dans de nombreux pays, elle demeure encore peu répandue en Algérie, où la culture du cash prédomine. Les banques algériennes devront par conséquent renforcer leur offre, simplifier les démarches d’obtention d’une carte internationale et veiller à l’acceptabilité de ces cartes dans un maximum de pays.
Viser la confiance des citoyens
Un autre enjeu majeur consiste à améliorer la crédibilité des banques auprès de la population. De nombreux Algériens rechignent à y déposer leurs devises, craignant des limitations futures ou un accès trop compliqué à leur argent. Le ministre des Finances, dans sa communication, tente de rassurer : il promet une « liberté totale dans l’utilisation de l’argent déposé », que ce soit pour des transferts à l’étranger ou pour des paiements en carte.
Ce discours pourrait trouver un écho favorable si la politique monétaire reste stable et si les taux de change dans le circuit officiel deviennent plus attractifs. Sans cela, une partie des Algériens continuera à privilégier les circuits non déclarés.
Quelles conséquences pour les voyageurs et l’économie ?
Les résidents algériens
Pour les Algériens résidant dans le pays, le nouveau seuil implique une planification plus rigoureuse de leurs voyages. Finies les exportations répétées de 7 500 euros à chaque déplacement : l’ensemble des sorties annuelles ne peut dépasser ce montant. Ceux qui ont des besoins supérieurs devront compter sur les transferts bancaires ou les cartes de paiement internationales pour effectuer leurs transactions à l’étranger.
La mesure pourrait décourager certains voyageurs d’affaires dont l’activité repose sur l’achat de biens hors du circuit officiel. Elle pourrait aussi encourager la bancarisation de sommes jusque-là conservées au domicile, réduisant ainsi la part de cash en circulation.
Les Algériens de l’étranger et la diaspora
La diaspora reste épargnée par cette limitation, à condition de justifier l’origine des fonds lors de l’arrivée en Algérie. Sur le papier, cela signifie que les Algériens vivant à l’étranger ne devraient pas subir de restrictions pour leurs devises. Ils conservent également le droit d’ouvrir un compte en devises dans une banque algérienne.
Il leur suffit de présenter la déclaration douanière prouvant qu’ils ont importé l’argent au moment où ils désirent le réexporter. Cette souplesse vise à préserver le lien financier entre la diaspora et l’économie algérienne, sans pour autant nourrir le marché parallèle.
Une dynamique nouvelle pour l’économie ?
Si la réforme porte ses fruits, le système bancaire algérien pourrait se renforcer grâce à une augmentation des dépôts en devises. Les banques auraient alors davantage de capacités pour financer des projets d’investissement ou des prêts en monnaie nationale. Par ricochet, la confiance des partenaires internationaux dans la gestion économique du pays pourrait s’améliorer.
Conclusion
En plafonnant à 7 500 euros par année civile le montant de devises exportables pour les résidents et non-résidents, l’Algérie s’inscrit dans une stratégie plus large de modernisation de ses mécanismes financiers. L’ambition affichée est de contrer le marché noir, d’encourager l’usage des cartes bancaires et d’instaurer une meilleure traçabilité des flux monétaires.
Les critiques restent toutefois nombreuses. Certains craignent que la mesure ne soit qu’un emplâtre sur une jambe de bois, tant le marché parallèle paraît solidement ancré. D’autres y voient un pas dans la bonne direction, pour peu que l’administration bancaire se montre réellement incitative et qu’elle simplifie la vie des voyageurs et des détenteurs de comptes en devises.
Au final, le succès de cette réforme dépendra de la capacité du gouvernement à instaurer un climat de confiance durable et à offrir des taux de change compétitifs. D’ici là, les voyageurs habitués à sortir des sommes conséquentes devront apprendre à composer avec un nouveau plafond annuel, sous peine de tomber sous le coup d’un contrôle plus strict aux frontières.