En ce début d’année 2025, le marché noir des devises en Algérie a connu une secousse particulièrement notable : l’euro et le dollar y ont enregistré une hausse spectaculaire en l’espace de quelques heures, à l’encontre de nombreuses prévisions. Selon les cambistes et autres observateurs, cette flambée étonnante s’explique en partie par une raréfaction soudaine des billets sur le marché parallèle, mais aussi par des facteurs conjoncturels tenant à la fois de l’économie nationale et des dynamiques régionales. Dans un pays où la valeur du dinar est souvent perçue comme un indicateur de la stabilité économique et politique, cette situation soulève une question : le dinar algérien va-t-il s’effondrer face à l’euro et au dollar sur le marché noir, ou s’agit-il d’un épisode conjoncturel, destiné à s’atténuer au fil des semaines ?
La flambée de l’euro et du dollar : un constat chiffré
Une hausse soudaine et spectaculaire
Dimanche 5 janvier 2025, l’euro s’est négocié à 257 dinars sur le marché noir, contre 248,5 dinars la veille. Cela représente une hausse fulgurante de 8,5 dinars en l’espace de 24 heures. Le phénomène est tout aussi marquant pour le dollar américain, qui est passé de 236,5 dinars samedi à 243 dinars dimanche, traduisant une appréciation brutale de 6,5 dinars en une journée. Ces mouvements ne sont pas passés inaperçus dans un marché parallèle souvent difficile à décrypter, et ont suscité de nombreuses interrogations quant aux raisons d’une telle envolée.
Ce rebond est intervenu après une période de baisse : l’euro, par exemple, avait reculé de 262 dinars début décembre à 242 dinars fin décembre 2024, soit l’un de ses plus bas niveaux depuis fin août 2024. Pour de nombreux acteurs, cette phase de baisse laissait entrevoir une accalmie durable sur le marché noir, l’hypothèse privilégiée étant que la demande en devises resterait relativement stable, notamment en cette période post-festivités de fin d’année. La hausse de début janvier a donc eu l’effet d’un coup de tonnerre pour la plupart des cambistes et des analystes.
Les raisons avancées : raréfaction et spéculation
Selon plusieurs cambistes, la cause première de cette flambée tiendrait à une raréfaction soudaine de l’euro et du dollar sur le marché noir. Cette pénurie, parfois présentée comme orchestrée par certains acteurs influents, a eu pour effet de doper immédiatement les cours. Dans un marché où l’opacité est la règle et où les anticipations peuvent se cristalliser en quelques jours, voire en quelques heures, il n’est pas rare que de moindres volumes de billets disponibles entraînent des hausses rapides et significatives.
Parallèlement, l’ambiance spéculative qui caractérise souvent le marché noir en Algérie n’a pas manqué de renforcer cette tendance. Face à l’anticipation d’un durcissement de la réglementation sur l’import-export ou d’autres mesures administratives, certains opérateurs ont pu être tentés de se positionner en amont pour sécuriser leurs marges, provoquant un emballement général du cours des devises.
L’importance du marché noir en Algérie : un phénomène historique
Des origines ancrées dans l’histoire économique et monétaire
Pour comprendre cette flambée, il est essentiel de rappeler le poids considérable du marché noir dans la formation des prix de la devise en Algérie. Historiquement, les restrictions imposées sur l’importation et l’exportation de devises, la politique de change administrée par l’État, ainsi que la difficulté d’accéder à un marché de change légal pour les particuliers, ont conduit au développement d’un marché parallèle florissant. Au fil des décennies, un réseau de cambistes informels, présents à la fois dans les rues et dans des espaces semi-clandestins, a su imposer ses propres règles et devenir une référence pour de nombreux citoyens cherchant à acquérir ou à céder des euros, des dollars, voire d’autres monnaies.
Cette dynamique s’est accentuée avec l’évolution des revenus des ménages, en particulier ceux issus de la diaspora ou de l’exportation de biens et de services. Le développement du commerce extérieur informel, notamment via les réseaux d’importation parallèle de produits de consommation, a également contribué à entretenir une demande structurelle pour les devises fortes (euro et dollar). Le marché noir est ainsi devenu un baromètre officieux de la santé de l’économie algérienne, souvent plus suivi que le marché officiel, jugé peu représentatif des réalités de terrain.
Les implications sociétales et économiques
Le recours massif au marché noir a des incidences notables sur l’économie et la société algériennes. D’une part, il crée un écart grandissant entre le taux de change officiel – fixé par la Banque d’Algérie – et le cours appliqué dans les rues et les réseaux informels. Cet écart, parfois très important (on parle parfois d’une différence de plus de 40 % entre le taux officiel et le taux parallèle), agit comme un aimant pour ceux qui cherchent à maximiser leurs gains ou à préserver leur pouvoir d’achat en devises.
D’autre part, cette dépendance à un marché informel fragilise l’économie : elle attise l’inflation, en particulier pour les biens importés, et rend plus difficile le contrôle par l’État de la masse monétaire circulante en dinars. Les ménages, quant à eux, se retrouvent confrontés à des fluctuations parfois violentes des taux de change, qui peuvent affecter directement leurs capacités de consommation ou leurs projets d’investissement (achat immobilier, financement d’études à l’étranger, etc.).
Les facteurs conjoncturels de la hausse : entre rareté et psychose
La fin des vacances d’hiver et un calendrier inattendu
Les semaines qui suivent les festivités de fin d’année ne sont généralement pas réputées pour une demande massive en devises. Les déplacements internationaux tendent à baisser, l’activité économique connaît un ralentissement relatif, et les projections pour le premier trimestre de l’année sont souvent marquées par une attente prudente. Or, c’est précisément dans ce contexte de faible demande supposée que l’euro et le dollar ont bondi.
Plusieurs hypothèses circulent pour expliquer ce phénomène. L’une d’elles insiste sur un éventuel report de la demande : certains consommateurs ou investisseurs auraient différé leurs opérations de change, comptant sur la tendance baissière de décembre pour obtenir des taux plus favorables. La brusque flambée de janvier pourrait donc résulter d’un effet d’aubaine raté, poussant ces derniers à se ruer sur les devises en constatant la nouvelle dynamique haussière.
La question de la nouvelle allocation touristique
En Algérie, la question de l’allocation touristique – c’est-à-dire le montant en devises auquel chaque citoyen a droit annuellement pour voyager à l’étranger – a toujours eu un impact significatif sur le marché des changes. Depuis le 8 décembre 2024, la nouvelle allocation a été fixée à 750 euros par personne et par année civile, contre un montant nettement inférieur les années précédentes. Toutefois, son entrée en vigueur semble avoir été retardée, créant incertitude et spéculation dans le milieu.
Certains cambistes soulignent qu’en l’absence de clarté sur la date d’application effective de cette nouvelle mesure, de nombreux citoyens cherchent d’ores et déjà à se procurer de la devise sur le marché noir, anticipant un durcissement des conditions d’accès aux euros et dollars. Cette précipitation pourrait être l’un des facteurs déclenchant la flambée. On peut également y voir un signe de désorganisation de la politique monétaire ou une illustration de la méfiance de la population envers les annonces officielles, souvent considérées comme tardives ou incomplètement mises en œuvre.
Regard sur le marché officiel : stabilité et décalage
Les taux de la Banque d’Algérie
Parallèlement à l’agitation qui règne sur le marché noir, le marché officiel, lui, demeure relativement stable. Pour la période du 3 au 7 janvier 2025, la Banque d’Algérie a fixé le cours de l’euro à 140,1097 dinars, contre 141,2546 dinars la semaine précédente, tandis que le dollar s’établit à 135,96 dinars, en légère hausse par rapport à 135,65 dinars la semaine passée.
Cet écart considérable entre le taux officiel et le taux parallèle illustre toute la complexité de la situation. De nombreux économistes considèrent qu’un tel fossé reflète la sous-évaluation chronique du dinar, entretenue par une politique monétaire visant à préserver la compétitivité des exportations d’hydrocarbures tout en limitant la facture des importations en dinars. Pour d’autres, il s’agit surtout de la conséquence de contrôles de capitaux stricts et d’une réglementation qui n’a pas su s’adapter à l’évolution des échanges commerciaux et du tourisme.
Un écart durable ou conjoncturel ?
L’existence d’un marché noir dynamique est le symptôme d’une insuffisance structurelle du marché officiel, lequel ne parvient pas à répondre à la demande réelle en devises. Toutefois, la stabilité apparente du taux officiel n’est pas nécessairement un gage de saine gestion économique : elle peut aussi traduire une forme d’ancrage forcé, peu en phase avec les réalités du terrain.
Nombre d’experts s’accordent à penser que cet écart pourrait perdurer si la Banque d’Algérie ne revoit pas sa politique de change. Les investisseurs étrangers regardent en effet l’évolution de la monnaie nationale avec attention, et l’extrême volatilité du marché noir pourrait contribuer à augmenter le sentiment d’insécurité économique. Il existe donc une tension permanente entre, d’une part, la volonté de l’État de maîtriser son taux de change pour préserver une certaine stabilité macroéconomique, et d’autre part, la nécessité de laisser la monnaie s’ajuster pour refléter l’offre et la demande réelles.
Les enjeux géopolitiques et économiques sous-jacents
La dépendance aux hydrocarbures
L’Algérie reste largement tributaire de ses exportations d’hydrocarbures pour alimenter ses réserves de devises. La fluctuation des cours internationaux du pétrole et du gaz se répercute donc directement sur la valeur du dinar. Après une période de relative stabilité des cours du brut à l’échelle internationale, une nouvelle baisse ou un choc externe pourrait fragiliser encore davantage la position budgétaire du pays, et partant, la valeur de sa monnaie.
La récente hausse brutale de l’euro et du dollar sur le marché noir s’explique aussi par le fait que les acteurs économiques, conscients de la volatilité des ressources pétrolières, cherchent à sécuriser leurs avoirs en détenant des devises fortes. En anticipant une baisse des recettes d’hydrocarbures ou un changement de politique budgétaire, entreprises et particuliers consolident leurs réserves en euros et en dollars, alimentant la demande et contribuant à la hausse des cours.
Les tensions régionales et l’impact sur l’économie algérienne
Sur le plan régional, l’Algérie évolue dans un contexte géopolitique parfois turbulent. Les relations commerciales avec certains voisins, la question migratoire ou encore les fluctuations de la demande en gaz naturel en Europe sont autant de facteurs qui peuvent influencer indirectement la valeur du dinar. Toute incertitude politique ou toute perspective d’isolement économique accentue la défiance des marchés et renforce la tendance des acteurs économiques à se replier sur des devises considérées comme plus sûres.
S’y ajoutent les perspectives de réformes internes, dont l’issue demeure incertaine. La modernisation du secteur bancaire, la lutte contre la corruption ou encore la diversification de l’économie hors hydrocarbures sont autant de chantiers importants que le gouvernement algérien peine à concrétiser pleinement, nourrissant les doutes sur la capacité du dinar à conserver sa valeur sur le moyen terme.
Les politiques de contrôle et leurs limites
Les tentatives de régulation par la Banque d’Algérie
La Banque d’Algérie a mis en place, ces dernières années, plusieurs mesures destinées à maîtriser la fuite des capitaux et à encadrer la circulation des devises. Il s’agit notamment de la limitation stricte des sorties de devises à travers les banques, de l’imposition de plafonds de retraits pour les cartes bancaires internationales, ou encore du durcissement des conditions de transfert d’argent à l’étranger.
Si ces mesures ont pu contenir, dans une certaine mesure, la croissance du marché noir, elles ont aussi contribué à l’alimenter paradoxalement. En rendant l’accès légal aux devises plus complexe et parfois plus coûteux (en termes de procédures administratives), elles ont encouragé les citoyens et les entreprises à se tourner vers les cambistes informels, dont le fonctionnement est plus souple et l’offre plus immédiate.
Les quotas d’importation et la frustration des opérateurs économiques
L’Algérie a également instauré des quotas d’importation pour de nombreux produits, dans le but de protéger ses réserves en devises et de favoriser la production locale. Or, ces politiques de contingentement ont souvent abouti à des pénuries temporaires ou à des augmentations de prix sur le marché local, ce qui a entretenu un cercle vicieux d’inflation et de dévaluation rampante du dinar.
Pour de nombreux opérateurs économiques, l’incertitude qui entoure la délivrance des licences d’importation et le manque de transparence dans les procédures entravent leur capacité à planifier leurs achats. Résultat : ils se tournent vers les réseaux informels, à la fois pour l’approvisionnement en marchandises et pour les opérations de change nécessaires à leurs transactions.
Les conséquences sur le pouvoir d’achat et les prix à la consommation
L’inflation importée
Une dépréciation du dinar face à l’euro et au dollar, qu’elle soit officielle ou parallèle, se traduit mécaniquement par un renchérissement des biens importés. Dans un pays où une part importante de la consommation repose sur les importations, notamment en matière de produits alimentaires, d’équipements et de médicaments, l’impact sur le pouvoir d’achat des ménages peut être considérable.
Au-delà du simple coût d’achat des produits, l’incertitude sur les taux de change renforce la tentation des commerçants de répercuter préventivement les hausses anticipées sur les prix de vente. Ainsi, une flambée passagère de l’euro sur le marché noir peut se traduire, dans les semaines suivantes, par une augmentation des prix dans les étals et les supermarchés, même si certains importateurs continuent de s’approvisionner via des canaux officiels à des taux plus favorables.
Le risque de précarisation
Pour la majorité de la population, dont les revenus sont perçus en dinars, toute baisse durable de la valeur de la monnaie nationale se traduit par une érosion du pouvoir d’achat. Le phénomène touche en premier lieu les catégories sociales les plus vulnérables, pour qui le coût de la vie augmente plus vite que les salaires ou les aides de l’État.
Si la flambée observée en ce début d’année 2025 venait à se prolonger, elle pourrait aggraver une situation sociale déjà marquée par un taux de chômage élevé et un marché du travail peu dynamique. Les contestations populaires, autrefois mobilisées autour de problématiques politiques, pourraient alors se recentrer sur des revendications économiques, à l’instar des manifestations autour du pouvoir d’achat qui ont déjà eu lieu dans le passé.
Le regard critique sur la situation actuelle
Un marché noir, baromètre d’une économie en tension
Le marché noir algérien des devises, s’il reste informel et opaque, n’en est pas moins un indicateur crucial de la santé économique du pays. La flambée récente de l’euro et du dollar reflète moins un phénomène ponctuel et isolé qu’une tendance de fond, marquée par la fragilité des équilibres macroéconomiques, la persistance des rigidités administratives et l’absence de réformes monétaires d’ampleur.
Certains analystes estiment que la hausse spectaculaire de janvier 2025 est un signal d’alarme, révélateur d’une confiance en berne dans les perspectives de redressement économique. Tant que la demande de devises ne sera pas suffisamment satisfaite par des canaux légaux, et tant que la politique de change ne s’alignera pas sur les réalités du marché, il est probable que la volatilité persiste et que le dinar reste sous pression.
La responsabilité des autorités et les pistes de réforme
Face à cette situation, la responsabilité du gouvernement et des institutions monétaires est engagée. Plusieurs pistes sont régulièrement évoquées :
- Libéralisation partielle du marché des changes : en autorisant davantage de transactions légales en devises, les autorités pourraient réduire l’attrait du marché parallèle et resserrer l’écart entre le taux officiel et le taux officieux.
- Renforcement de la transparence et de la gouvernance : la lutte contre la corruption, l’instauration d’un cadre réglementaire stable et la modernisation du secteur bancaire sont considérées comme des prérequis à la restauration de la confiance.
- Diversification économique : en développant d’autres secteurs que celui des hydrocarbures, l’Algérie pourrait stabiliser ses rentrées de devises et limiter son exposition aux chocs exogènes.
- Politique monétaire plus flexible : un ajustement régulier et progressif du taux de change pourrait éviter les dévaluations soudaines et brutales qui alimentent la psychose et la spéculation.
Les scénarios possibles pour les prochains mois
Vers un maintien de la volatilité ?
Pour de nombreux cambistes, la flambée constatée début janvier 2025 ne sera pas la dernière. Le marché noir pourrait continuer à connaître des soubresauts spectaculaires, au gré des rumeurs, des annonces politiques ou des fluctuations de l’offre et de la demande en devises. Cette volatilité persistante risquerait d’entretenir un climat d’incertitude pour les agents économiques, freinant l’investissement et alimentant les tensions sociales.
Dans ce scénario, le dinar poursuivrait sa lente érosion, ponctuée de phases de hausse et de répit pour les devises étrangères. Les ménages et les entreprises s’adapteraient tant bien que mal, en puisant davantage dans leurs économies ou en répercutant les hausses de coûts sur les prix. Les autorités, quant à elles, pourraient continuer à proclamer un taux de change officiel peu réaliste, tout en resserrant les contrôles pour tenter de limiter la fuite des capitaux.
Un redressement possible de la monnaie ?
À l’inverse, certains observateurs plus optimistes estiment que le gouvernement algérien, confronté à l’urgence de la situation, pourrait réagir en adoptant des réformes monétaires et économiques d’envergure. Une politique de dévaluation maîtrisée du dinar officiel, combinée à une plus grande ouverture du marché des changes, pourrait contribuer à résorber progressivement le marché noir.
Ce scénario de redressement supposerait néanmoins une volonté politique forte, ainsi qu’un accompagnement technique et financier, possiblement via des partenariats internationaux. L’idée serait de faire converger le taux officiel et le taux parallèle, tout en relançant l’économie par l’investissement productif et la création d’emplois. À terme, le dinar pourrait se stabiliser à un niveau plus réaliste, reflétant les fondamentaux de l’économie nationale sans faire peser un fardeau insoutenable sur le pouvoir d’achat.
Les leçons à tirer et les perspectives d’avenir
Un signal pour la gouvernance économique
La flambée du marché noir en ce début d’année 2025 envoie un signal fort aux responsables politiques et aux institutions financières algériennes : le cadre actuel de contrôle des changes et de régulation monétaire montre ses limites. Les politiques de contingentement, les allocations touristiques trop faibles et le maintien d’un taux officiel peu crédible ont contribué à alimenter les distorsions et les spéculations.
En outre, cette situation met en relief la nécessité d’une gestion plus rigoureuse des réserves de change. Si ces dernières venaient à s’épuiser trop rapidement, l’Algérie pourrait se retrouver à la merci des marchés financiers internationaux, avec un risque accru de déstabilisation monétaire.
L’importance de la confiance et de la transparence
Au-delà des mesures techniques, la stabilisation du dinar algérien passe par une restauration de la confiance. Les citoyens et les opérateurs économiques doivent avoir la certitude que les règles du jeu ne changeront pas de manière impromptue, que les politiques annoncées seront effectivement mises en œuvre, et que l’État ne recourra pas à des pratiques arbitraires ou opaques pour protéger ses intérêts.
La transparence et la communication institutionnelle sont dès lors cruciales. Il ne s’agit pas seulement de publier des chiffres ou des directives, mais de répondre clairement aux interrogations du public, d’expliquer les réformes envisagées et de justifier leurs impacts potentiels. Cette démarche pédagogique est essentielle pour réduire la volatilité alimentée par les rumeurs et la spéculation.
Lectures critiques et leçons régionales
Comparaison avec d’autres pays maghrébins
L’Algérie n’est pas le seul pays de la région à faire face à une dépréciation de sa monnaie et à un marché noir actif. Au Maroc, par exemple, la dérégulation progressive du dirham a permis de réduire l’écart entre le taux officiel et le taux informel, même si certaines tensions demeurent. La Tunisie, de son côté, a dû jongler avec une dévaluation de sa monnaie, le dinar tunisien, sous la pression du FMI et dans un contexte de crise touristique et économique post-révolutionnaire.
En étudiant les expériences voisines, on constate que la gestion du taux de change doit s’accompagner de réformes structurelles globales, visant à renforcer la compétitivité, à diversifier l’économie et à mobiliser davantage d’investissements étrangers et locaux. La simple manipulation du taux de change ou la répression du marché parallèle ne suffisent pas à régler les problèmes de fond.
Impacts sur la zone euro-méditerranéenne
Le renforcement de l’euro et du dollar face au dinar peut également avoir des répercussions sur la zone euro-méditerranéenne. Les échanges commerciaux entre l’Algérie et l’Europe se trouvent modulés par le différentiel de change, ce qui influence l’attractivité des produits algériens et, dans une moindre mesure, la compétitivité des services. Les flux migratoires, les transferts de fonds de la diaspora et l’investissement direct étranger sont autant de canaux de transmission par lesquels la situation monétaire algérienne peut avoir un écho de l’autre côté de la Méditerranée.
Conclusion : vers une réforme indispensable du marché des changes
La question posée au début de cet article – « Le Dinar algérien va-t-il s’effondrer face à l’euro et au dollar sur le marché noir ? » – trouve une réponse nuancée. Si la dépréciation brutale et la volatilité du début de l’année 2025 sont réelles et préoccupantes, elles ne préjugent pas nécessairement d’un effondrement irréversible de la monnaie algérienne. Toutefois, elles révèlent une fois de plus la fragilité du système actuel et l’urgence d’une réforme en profondeur.
Pour que le dinar algérien retrouve un semblant de stabilité, une série de mesures s’impose : harmoniser les taux de change, simplifier les règles d’accès aux devises pour les particuliers et les professionnels, mieux contrôler l’inflation, rénover le secteur bancaire et clarifier la politique économique à moyen et long terme. Les autorités devront également travailler à limiter les asymétries d’information et les comportements spéculatifs, tout en apportant des réponses concrètes aux difficultés que rencontrent nombre de ménages, confrontés à l’érosion de leur pouvoir d’achat.
Cette flambée inopinée de l’euro et du dollar sur le marché noir est donc un révélateur : elle témoigne de l’absence d’une politique de change cohérente et transparente, et souligne la nécessité d’une gouvernance économique plus efficace. Au moment où le pays traverse des défis multiples – baisse potentielle des revenus pétroliers, nécessité de créer de l’emploi, besoin de consolider la cohésion sociale – la question monétaire apparaît comme l’un des vecteurs clés de la stabilité nationale.
Il appartient maintenant au gouvernement et à la Banque d’Algérie d’affirmer une stratégie claire et un cap assumé pour restaurer la confiance. Les mesures ponctuelles de contrôle des changes et les ajustements techniques n’ont jusqu’ici fait qu’alimenter le marché noir et cristalliser la défiance. Une refonte systémique, accompagnée d’une meilleure transparence et d’un dialogue franc avec les acteurs économiques et la société civile, semble la seule voie pour sortir de ce cycle de volatilité.
Enfin, le débat reste ouvert sur la façon dont l’Algérie peut aborder cette phase de transition monétaire. Les leçons tirées d’expériences étrangères ou de périodes passées doivent être examinées avec attention. De plus, l’intégration régionale et la coopération économique avec les partenaires méditerranéens et africains peuvent offrir des opportunités de stabilisation, pour peu que la volonté politique suive.
En attendant, la flambée de ce début janvier 2025 illustre à la fois la fébrilité du marché noir des devises et l’interdépendance complexe des facteurs économiques, politiques et sociaux qui pèsent sur le dinar algérien. Dans ce paysage mouvant, le scénario d’un effondrement total de la monnaie nationale n’est pas inéluctable, mais il ne peut être écarté si des réformes structurelles ne sont pas rapidement mises en œuvre.