Les relations entre l’Algérie et la France traversent une période de turbulences majeures, impactant plusieurs secteurs économiques. Dernier épisode en date : l’interdiction des importations de bovins français décidée par Alger en septembre 2023. Officiellement justifiée par des motifs sanitaires, cette mesure s’inscrit dans un contexte de tensions diplomatiques croissantes, marqué par une volonté apparente de l’Algérie de réduire sa dépendance aux produits français, voire de les exclure progressivement de son marché.
Cette décision a bouleversé la filière bovine française, historiquement bien implantée en Algérie, et a ouvert la voie à de nouveaux acteurs, notamment l’Irlande. Mais au-delà du secteur agricole, elle reflète une dynamique politique et économique plus large, symbolisant la rupture progressive entre les deux pays.
Une interdiction officiellement sanitaire
La Maladie Hémorragique Épizootique (MHE) en cause
En septembre 2023, le ministère algérien de l’Agriculture a annoncé la suspension des importations de bovins vivants en provenance de France, invoquant la présence de la Maladie Hémorragique Épizootique (MHE) sur le territoire français. Cette pathologie, qui touche les ruminants, a conduit les autorités algériennes à prendre des mesures drastiques pour protéger leur cheptel national.
Des préoccupations sanitaires réelles…
La MHE, tout comme la fièvre catarrhale qui sévit en France et en Europe continentale, représente un risque pour les élevages algériens. Les services vétérinaires du pays ont intensifié leurs contrôles, mettant en place des restrictions sévères sur les importations.
… mais des motivations politiques sous-jacentes
Cependant, de nombreux observateurs estiment que cette décision n’est pas uniquement dictée par des préoccupations sanitaires. Elle intervient dans un contexte de tensions diplomatiques persistantes entre Alger et Paris, exacerbées par des désaccords politiques, des polémiques mémorielles et des différends sécuritaires.
Une crise diplomatique aux répercussions économiques
Un climat de défiance croissant
Les relations entre l’Algérie et la France se sont dégradées au cours des dernières années. En 2024, des déclarations perçues comme hostiles de la part de responsables français, combinées à des différends sur des questions migratoires et historiques, ont provoqué un refroidissement des relations bilatérales.
Le blocus bovin comme un symbole
L’interdiction des importations de bovins français s’inscrit dans cette logique de défiance. Pour Alger, il s’agit d’un signal fort envoyé à Paris, affirmant sa volonté de diversifier ses partenaires économiques et de réduire l’influence française sur son marché.
Un précédent dans d’autres secteurs
Le secteur bovin n’est pas le seul touché. En matière de céréales, l’Office Algérien Interprofessionnel des Céréales (OAIC) avait déjà amorcé une diversification de ses fournisseurs, passant de 22 à 32 partenaires internationaux en quelques années. Ce mouvement vise à limiter la dépendance envers la France, traditionnellement l’un des principaux exportateurs de blé vers l’Algérie.
L’Irlande, un nouveau partenaire privilégié
L’essor des génisses irlandaises
Dans ce contexte de blocage des produits français, l’Irlande a rapidement pris le relais. En janvier 2025, un navire a livré 2 100 génisses Holstein en Algérie, s’ajoutant à une première expédition de 1 000 vaches en 2024. La qualité des bovins irlandais, combinée à l’absence de maladies comme la MHE ou la fièvre catarrhale, a séduit les éleveurs algériens.
Un succès irlandais
D’après le média agricole Agriland, l’Algérie est devenue un marché stratégique pour les bovins irlandais. Les acteurs de la filière, soutenus par le ministère irlandais de l’Agriculture, misent sur cette opportunité pour renforcer leur présence en Afrique du Nord.
Un modèle de diversification algérien
Cette collaboration avec l’Irlande illustre la volonté de l’Algérie de diversifier ses partenaires, non seulement pour les bovins, mais aussi pour d’autres produits stratégiques. En rompant progressivement avec la France, Alger cherche à redéfinir ses alliances économiques.
Une interdiction aux conséquences lourdes pour la France
Un coup dur pour la filière bovine française
La France, qui exportait chaque année des milliers de bovins vers l’Algérie, subit un revers économique majeur. Cette interdiction prive de nombreux éleveurs français d’un débouché important, alors même que la filière fait face à des défis liés aux nouvelles normes sanitaires et environnementales.
Une perte de compétitivité
La concurrence irlandaise, favorisée par des normes sanitaires rigoureuses et des soutiens institutionnels solides, met en lumière les faiblesses de la filière bovine française. Incapable de répondre aux exigences algériennes en matière de santé animale, la France risque de voir d’autres marchés lui échapper si elle ne modernise pas ses pratiques.
Vers une interdiction élargie des produits français ?
Une tendance inquiétante pour Paris
Le blocus des bovins pourrait être le prélude à une interdiction plus large des produits français en Algérie. En diversifiant ses partenaires dans des secteurs comme les céréales, les équipements industriels et les produits agroalimentaires, Alger semble vouloir réduire son exposition à l’influence économique française.
Des motivations politiques et historiques
Cette stratégie s’inscrit dans une volonté politique de rompre avec une relation marquée par une histoire coloniale encore sensible. Pour Alger, il s’agit non seulement de protéger ses intérêts économiques, mais aussi d’affirmer son indépendance vis-à-vis de son ancien colonisateur.
Un impact économique potentiel
Si cette tendance se confirme, les entreprises françaises risquent de perdre des parts de marché importantes en Algérie, un pays considéré comme stratégique pour de nombreux secteurs. Cette situation pourrait également renforcer la position de concurrents européens et asiatiques, prêts à combler le vide laissé par la France.
Les enjeux pour l’Algérie : diversification et autosuffisance
Réduire la dépendance
L’interdiction des produits français s’inscrit dans une stratégie plus large visant à réduire la dépendance économique de l’Algérie à l’égard de ses partenaires traditionnels. Qu’il s’agisse de bovins, de céréales ou d’autres produits de première nécessité, Alger veut s’assurer d’un approvisionnement diversifié pour éviter les risques liés à des crises diplomatiques ou sanitaires.
Développer la production locale
Parallèlement, l’Algérie mise sur des projets ambitieux pour renforcer sa production locale. Le projet laitier algéro-qatari Baladna, qui prévoit la construction d’une ferme géante de 270 000 vaches à Adrar, illustre cette ambition. Si ce projet réussit, il pourrait réduire la dépendance aux importations de lait et de viande, renforçant ainsi l’autonomie alimentaire du pays.
Une opportunité pour d’autres partenaires
Les États-Unis et l’Irlande en embuscade
Outre l’Irlande, d’autres pays cherchent à tirer parti de la situation. En 2024, les États-Unis ont exporté pour la première fois des semences génétiques bovines vers l’Algérie, ouvrant la voie à un partenariat dans le domaine de l’élevage. Ces initiatives montrent que l’Algérie est prête à diversifier ses relations commerciales pour s’éloigner de la France.
Un exemple pour d’autres secteurs
Le succès de l’Irlande dans le secteur bovin pourrait inspirer d’autres partenaires à renforcer leur présence en Algérie, notamment dans les secteurs de l’agriculture, de l’industrie et des infrastructures.
Une rupture annoncée avec la France ?
L’interdiction des importations de bovins français en Algérie ne peut être comprise uniquement sous l’angle sanitaire. Elle symbolise une volonté politique plus large : celle de réduire la dépendance économique vis-à-vis de la France et d’affirmer une indépendance stratégique.
En diversifiant ses partenaires, notamment avec l’Irlande et les États-Unis, l’Algérie redéfinit ses priorités économiques tout en s’inscrivant dans une logique de souveraineté alimentaire. Pour la France, cette rupture pourrait marquer le début d’un recul durable sur un marché longtemps considéré comme acquis.
La crise diplomatique entre Alger et Paris, si elle n’est pas résolue, risque de prolonger ce mouvement. Les enjeux pour les deux pays sont immenses, mais l’Algérie semble décidée à tracer une nouvelle voie, éloignée de l’influence française.