L’Algérie, acteur incontournable sur la scène internationale : une puissance émergente ou un simple positionnement stratégique ?

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L’Algérie, acteur incontournable sur la scène internationale : une puissance émergente ou un simple positionnement stratégique ?

Alger – envoyé spécial: De Pékin à Dakar, de Londres à Athènes, l’Algérie semble se trouver au centre d’un ballet diplomatique qui s’intensifie depuis plusieurs mois. Un flux continu de visites officielles, d’envoyés spéciaux et de signatures d’accords traduit la volonté d’Alger de reconquérir une place stratégique dans le concert des nations. Entre la réception, ces derniers jours, de trois nouveaux ambassadeurs – en provenance de Grèce, de Chine et du Royaume-Uni – et les nombreux déplacements de ministres algériens à travers le continent africain, l’Algérie affiche une ambition renouvelée : devenir un acteur incontournable sur la scène régionale et internationale.

À quoi correspond réellement cette effervescence ? S’agit-il d’un tournant décisif pour la politique étrangère du pays ou d’une succession de gestes symboliques sans lendemain ? Comment l’Algérie parvient-elle à conjuguer ses partenariats avec des puissances mondiales et son encrage africain ? Exploration d’un moment charnière, où diplomatie, économie et symboles de souveraineté s’entremêlent dans un contexte mondial en pleine recomposition.

Un ballet diplomatique qui s’accélère

Rien que ce week-end, trois ambassadeurs ont présenté leurs lettres de créance au président Abdelmadjid Tebboune, signe d’un intense mouvement diplomatique à Alger. Nicolas Verghis, l’ambassadeur de Grèce, a insisté sur sa volonté d’ouvrir une « coopération fructueuse » avec l’Algérie. De son côté, Dong Guangli, représentant de la Chine, a renouvelé le « soutien indéfectible » de Pékin, notant l’importance de « dynamiser la coopération économique et commerciale, en particulier en matière d’investissement ». Enfin, James Robert Stephen Downer, ambassadeur du Royaume-Uni, a décrit l’Algérie comme un « partenaire essentiel », arguant que Londres entendait consolider sa présence sur tous les plans, de la sécurité à la culture, en passant par les affaires.

Ce flot d’annonces ne s’arrête pas à de simples déclarations : le nouveau président du Conseil d’affaires algéro-britannique a tenu une conférence de presse dans la capitale, exprimant sa volonté de soutenir les hommes d’affaires des deux pays pour concrétiser des projets de partenariat. À en croire ses propos, Alger deviendrait un hub incontournable pour les investisseurs britanniques, avec des perspectives allant de l’exploitation minière aux services financiers, en passant par le développement de l’énergie solaire.

Vu d’Alger, ces démarches sont perçues comme un signal fort indiquant que le pays est devenu une destination de choix pour de grandes puissances. Les observateurs locaux y voient une opportunité de diversifier l’économie algérienne, longtemps tournée vers les hydrocarbures, et d’ouvrir de nouvelles perspectives de croissance, notamment pour la jeunesse. Cependant, certains analystes nuancent cet enthousiasme en rappelant que les promesses diplomatiques doivent souvent surmonter des obstacles structurels – l’administration, la bureaucratie ou encore le climat des affaires – pour déboucher sur des investissements concrets.

Un ancrage africain en pleine consolidation

Au-delà de ces partenariats avec des puissances mondiales, l’Algérie affirme de plus en plus son rôle africain. L’entrevue entre Abdelmadjid Tebboune et Birame Diop, ministre des Forces armées de la République du Sénégal et envoyé spécial du président Macky Sall, s’inscrit dans cette dynamique. L’accent est mis sur la sécurité continentale, l’unité africaine et la nécessité de faire face, ensemble, aux défis du terrorisme et du sous-développement. Les deux pays ont réitéré leur volonté de renforcer leurs relations bilatérales et d’œuvrer à une plus grande intégration africaine.

Cet engagement se traduit par une multiplication des déplacements de hauts responsables algériens à travers le continent. Le ministre des Affaires étrangères, celui de la Santé ou encore le ministre des Moudjahidine et des Ayants droit ont sillonné des pays comme la République démocratique du Congo, le Cap-Vert, la Côte d’Ivoire et le Mozambique, avec des missions décrites comme « stratégiques » pour poser les jalons d’une coopération élargie. Soutien logistique, formation, développement d’infrastructures : Alger cherche à se positionner comme un moteur de l’unité africaine, se voulant un « trait d’union » entre différents blocs géopolitiques.

Du point de vue de nombreux acteurs de la société civile algérienne, cette orientation marquée vers l’Afrique est salutaire. Dans un continent où la compétition d’influence est vive, notamment avec l’arrivée en force de la Chine, de la Turquie ou de la Russie, l’Algérie peut faire valoir son histoire, sa position géographique et son potentiel économique pour jouer un rôle de premier plan. Toutefois, cette ambition exige une vision cohérente et des moyens conséquents pour traduire les engagements politiques en projets concrets sur le terrain.

L’Algérie à l’ONU : une voix en quête de reconnaissance

Ce renouveau diplomatique se manifeste également dans les organisations internationales. En présidant le Conseil de sécurité de l’ONU ce mois-ci, l’Algérie dispose d’une plateforme de choix pour porter les sujets qui lui tiennent à cœur. Son représentant, Amar Benjama, a multiplié les interventions en faveur des « peuples opprimés » et des causes africaines, renforçant l’image d’un pays qui se veut la voix de l’Afrique et plus largement du Sud global.

Pour les autorités algériennes, cette posture s’inscrit dans la tradition historique de soutien aux mouvements de libération et au principe de non-ingérence. L’Algérie avait déjà joué un rôle notable dans les négociations de paix au Mali ou encore dans certains mécanismes de dialogue au Sahel. Cette fois-ci, Alger entend profiter de la visibilité onusienne pour consolider ses alliances. Certains diplomates algériens y voient une occasion d’obtenir des soutiens pour ses propres priorités régionales, notamment la stabilisation du Maghreb et la lutte contre les groupes terroristes. Reste à savoir si cette tribune sera exploitée pour structurer de véritables avancées ou si elle se limitera à des déclarations symboliques.

Des partenariats majeurs avec la Chine et le Royaume-Uni

Le rapprochement avec la Chine s’explique par la volonté de Pékin de renforcer son emprise commerciale et politique en Afrique. L’Algérie, grâce à son réseau d’infrastructures et sa position en Méditerranée, joue un rôle clé dans la « nouvelle route de la soie ». Les projets de construction, de logistique et de développement énergétique se multiplient, faisant de la Chine l’un des premiers partenaires économiques de l’Algérie.

Du côté britannique, le Brexit a incité Londres à intensifier ses démarches pour nouer des liens solides hors de l’Union européenne. L’Algérie apparaît ainsi comme une plateforme de choix pour accéder aux marchés africains et méditerranéens. Les échanges commerciaux entre les deux pays, bien qu’encore modestes, se développent progressivement, notamment dans le secteur de l’énergie (gaz, pétrole) et, de plus en plus, dans les énergies renouvelables. Des entreprises britanniques prospectent également dans l’agro-industrie, la santé et l’éducation, autant de domaines où l’Algérie a déclaré vouloir accélérer son développement.

Les défis internes : un frein ou un catalyseur ?

Si le dynamisme diplomatique est salué, certaines voix s’élèvent en Algérie pour rappeler que ce boom de relations internationales doit se traduire par des réformes internes. L’économie algérienne, largement dépendante des hydrocarbures, a besoin d’une diversification pour tirer pleinement profit de ces partenariats. Le climat des affaires, souvent jugé peu attractif, est freiné par des procédures administratives complexes, une réglementation fluctuante et un manque de lisibilité sur la gouvernance.

Les analystes évoquent aussi la nécessité d’inclure davantage la société civile et le secteur privé dans la définition des priorités stratégiques du pays. « Le risque, c’est de voir de grands projets rester sur le papier, faute de suivi concret ou de soutien institutionnel », souligne un entrepreneur algérien du secteur technologique. Pour lui, la diplomatie ne peut être dissociée d’un travail de fond sur la formation, la recherche, l’innovation et la mise en place d’un cadre sécurisant pour les investisseurs.

Une ambition africaine à confirmer

Outre les puissances mondiales, l’Algérie se veut un interlocuteur privilégié de ses voisins et des blocs africains. Historiquement attachée à l’idée de solidarité panafricaine, Alger revendique un rôle pivot dans les mécanismes de défense et de règlement des conflits. Les déplacements récents de ministres algériens en Afrique subsaharienne entendent souligner cette ambition de leadership.

Toutefois, cette quête de leadership se heurte à la concurrence d’autres acteurs majeurs du continent, comme l’Afrique du Sud, le Nigeria ou encore l’Égypte, également désireux de peser sur les orientations de l’Union africaine. L’Algérie devra composer avec ces partenaires pour éviter les rivalités stériles et favoriser des projets d’intégration régionale, notamment dans le domaine des infrastructures de transport ou des réseaux énergétiques.

Réalité stratégique : l’équilibre difficile avec l’Europe

La posture algérienne ne peut se comprendre sans tenir compte de ses relations avec l’Europe, en particulier avec la France, l’Italie et l’Espagne, qui demeurent des partenaires commerciaux et historiques de premier plan. Les tensions ponctuelles avec Paris, liées à des divergences diplomatiques, n’empêchent pas l’Algérie de préserver un flux d’échanges soutenu avec l’Hexagone. L’Italie, quant à elle, s’intéresse de près aux ressources gazières algériennes, cherchant à sécuriser son approvisionnement énergétique dans un contexte européen volatil.

Dans cet ensemble, l’Algérie doit trouver un équilibre délicat : tirer parti de la concurrence entre puissances (États-Unis, Chine, Russie, Royaume-Uni, etc.) pour améliorer ses partenariats, sans pour autant perdre de vue ses liens économiques et culturels avec l’Europe. Cette stratégie de diversification peut se révéler payante si elle est menée avec prudence et cohérence.

Vers un changement de paradigme diplomatique ?

L’Algérie nouvelle, incarnée par la présidence Tebboune, affiche une volonté affirmée de s’éloigner des postures passées, parfois marquées par un certain isolement. L’heure est à la visibilité internationale, au renforcement d’alliances variées, et à la mise en avant d’un discours axé sur l’équité, la solidarité africaine et le non-alignement traditionnel.

Cette évolution suscite un relatif consensus au sein de la classe politique algérienne, qui voit dans cette ouverture diplomatique un moyen de consolider la position du pays face aux défis de la mondialisation et à l’instabilité régionale. Cependant, elle n’est pas exempte de critiques, certains craignant que l’Algérie ne se laisse tenter par des partenariats déséquilibrés ou qu’elle ne néglige la nécessité de réformes internes pour se moderniser.

l’Algérie, un pivot diplomatique en devenir

Après une période de relative discrétion, l’Algérie réapparaît sur la carte diplomatique avec des ambitions renouvelées. Soutien de grandes puissances comme la Chine ou le Royaume-Uni, volonté affirmée de jouer un rôle leader en Afrique, présence renforcée dans les instances internationales : la stratégie algérienne témoigne d’un désir de s’affirmer dans un monde multipolaire.

Pour transformer cette dynamique en succès durable, Alger devra traduire les annonces diplomatiques en réalisations concrètes, à la fois dans le domaine économique et social. La diversification des partenariats exige un environnement interne attractif, transparent et stable. Sur le plan régional, la concurrence pour le leadership africain impose de construire des alliances solides et de démontrer une réelle capacité d’action, par-delà les discours.

Le pari est donc multiple : consolider la souveraineté de l’Algérie tout en s’ouvrant à des coopérations mutuellement bénéfiques, renforcer son rôle africain sans entrer en rivalité frontale avec d’autres acteurs, et maintenir des liens équilibrés avec l’Europe, indispensable sur le plan économique et historique. Au vu de l’intensité des échanges récents, et de l’agenda chargé qui attend la diplomatie algérienne, les prochains mois s’annoncent décisifs pour valider ou non ce statut d’acteur incontournable, si chèrement revendiqué.

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