L’Algérie fait face à une situation paradoxale sur le marché de la viande rouge. En dépit de ses immenses espaces steppiques et de son histoire pastorale, le pays importe encore des quantités importantes de moutons et de bœufs pour satisfaire la demande. Pour de nombreux observateurs, il s’agit d’un échec cuisant des politiques agricoles successives. Pourtant, la question n’est pas seulement économique : elle touche aussi à la souveraineté alimentaire du pays et à la préservation d’un mode de vie rural.
Entre le retour relatif des pluies, la sécheresse qui guette, l’essor des cultures fourragères et la recherche de solutions inspirées d’exemples étrangers (Australie, Tunisie), l’élevage ovin algérien navigue entre espoir et incertitudes. Au cœur de la tourmente, on retrouve une problématique centrale : l’insuffisance criante de fourrages. Comment permettre aux éleveurs de nourrir leurs troupeaux toute l’année ? Quelles pistes pour consolider une filière en perte de vitesse ?
Un recours massif à l’importation pour combler le déficit
D’année en année, la pénurie de viande rouge devient un sujet sensible en Algérie. Les consommateurs voient les prix flamber, tandis que l’État se tourne vers des fournisseurs étrangers pour éviter l’explosion sociale. Après l’importation de moutons de Roumanie, ce serait au tour de l’Afrique du Sud de se positionner sur le marché algérien.
Un paradoxe agricole majeur
Comment expliquer qu’un pays semi-aride, disposant d’immenses parcours steppiques (environ 20 millions d’hectares), ne parvienne pas à produire suffisamment de moutons pour sa population ? Cette question revient régulièrement sur la table, pointant du doigt un système d’élevage souvent présenté comme « archaïque », sous-équipé et insuffisamment structuré.
La transition alimentaire et l’augmentation de la demande
Par ailleurs, la consommation de viande en Algérie a nettement progressé, reflet d’une amélioration du niveau de vie. Les Algériens mangent plus de protéines animales qu’il y a quelques décennies. Cette demande accrue met la filière ovine sous pression. Les petits éleveurs peinent à suivre, surtout quand ils manquent de fourrages abordables ou de pâturages disponibles.
La sécheresse et le déficit de fourrages : un cauchemar pour les éleveurs
Le cœur du problème réside dans l’approvisionnement en nourriture pour le bétail. En Algérie, les sécheresses récurrentes déséquilibrent la production fourragère, rendant l’élevage coûteux et risqué.
Une rencontre à Djelfa pour organiser la filière
Le 20 janvier, à Djelfa, s’est tenu un rassemblement régional réunissant éleveurs, maquignons et professionnels venus de 16 wilayas. Organisée par la Chambre nationale d’agriculture (CNA) et l’Union nationale des paysans algériens (UNPA), cette rencontre visait à structurer la production ovine et à mieux contrôler le marché. Il était surtout question d’évoquer les moyens de relancer l’élevage, durement touché par la sécheresse et le surpâturage.
Subventions et orge subventionné
Ces dernières années, l’État a tenté de subventionner les semences fourragères à hauteur de 50 % et l’orge à 30 %. L’objectif : encourager la culture de plantes qui pourraient soulager la pression sur les parcours naturels. Selon l’Office national des statistiques, la production de fourrages était estimée à 50,7 millions de quintaux en 2020. Un chiffre qui reste insuffisant pour nourrir un cheptel sans cesse croissant.
La steppe algérienne : un potentiel sous-exploité
Avec plus de 20 millions d’hectares de parcours steppiques, l’Algérie possède un patrimoine pastoral considérable. Pourtant, l’état des lieux est alarmant : dégradation du sol, manque de végétation naturelle et usage intensif des terres.
L’impact des labours excessifs
Dans de nombreuses wilayas steppiques, le passage du nomadisme à une pratique plus sédentaire a entraîné l’ouverture de terres à la culture de l’orge ou de l’avoine. Les tracteurs se sont multipliés, favorisant une extension des surfaces labourées. Résultat : la végétation naturelle est bouleversée, et les parcours se réduisent comme peau de chagrin, ce qui accélère la désertification.
L’exemple australien
En Australie, pays également semi-aride, les éleveurs ont développé une offre fourragère basée sur la plantation à grande échelle d’arbustes résistants, comme l’atriplex. Cet arbuste, déjà présent en Algérie, fait partie des expériences menées par le Haut-commissariat au développement de la steppe (HCDS). Or, ces initiatives restent trop limitées. Comparée aux surfaces immenses d’Australie, l’Algérie est freinée par un statut foncier complexe et un éparpillement des éleveurs.
Les terres « Arch » : un frein au développement ?
Dans la steppe algérienne, de nombreuses zones relèvent du statut de terres « Arch », c’est-à-dire des terres communautaires gérées de façon traditionnelle. Cette propriété collective rend souvent difficile la mise en place de projets à grande échelle.
Des ranchs à la mode australienne, est-ce possible ?
Certains rêvent de transformer les parcours steppiques algériens en ranchs géants, comme en Australie. Mais la réalité est plus complexe. En Australie, les terres ont été confisquées aux Aborigènes et réparties entre de grands exploitants. En Algérie, la dimension communautaire implique une concertation bien plus poussée.
Les concessions agricoles, une piste à creuser
L’État a accordé des concessions pour encourager des projets agricoles ou pastoraux. L’idée : permettre à des investisseurs privés de développer des plantations fourragères. Mais ces initiatives se heurtent souvent à des conflits d’usage ou à des problèmes de rentabilité à court terme.
Des professionnels inquiets mais mobilisés
Lors de la rencontre de Djelfa, Abdellatif Dilmi, secrétaire général de l’UNPA, a souligné la nécessité d’une organisation plus poussée de la filière ovine. Il prône un encadrement strict des éleveurs, des maquignons et de tous les intermédiaires.
Lutter contre les spéculateurs
Dilmi fustige la présence d’intermédiaires « cupides » qui profitent de la sécheresse pour spéculer sur les aliments de bétail. Lorsque la demande explose et que l’offre se raréfie, ces acteurs font grimper les prix, rendant l’élevage non rentable pour de nombreux bergers.
Interdire l’abattage des femelles
Autre cheval de bataille : la préservation du cheptel. Beaucoup dénoncent l’abattage massif de brebis et de femelles pour faire face à la pénurie. Une pratique qui compromet la reproduction future et aggrave la crise. Des voix s’élèvent pour renforcer le contrôle dans les abattoirs et protéger ainsi les races locales.
Des pistes de solutions inspirées d’ailleurs
L’échec de la production ovine en Algérie n’est pas une fatalité. Plusieurs pays semi-arides ont su valoriser leurs ressources steppiques, parfois avec des techniques simples et adaptées.
L’atriplex, un arbuste aux vertus prometteuses
Déjà expérimenté en Tunisie et en Australie, l’atriplex résiste à la sécheresse et fournit un fourrage apprécié des moutons. En Algérie, on l’a planté sur des surfaces limitées, encadrées par le HCDS. Mais pour véritablement peser, il faudrait une extension à grande échelle, avec des opérations de mise en terre mécanisée, comme en Australie.
L’opuntia : un cactus utile
Dans certaines régions de l’est algérien, l’opuntia (figuier de Barbarie) est utilisé pour nourrir les ovins. Ce cactus offre un complément en eau et en fibres. Ses épines nécessitent toutefois un traitement préalable, mais sa rusticité en fait un atout face à la sécheresse.
Rendre l’élevage rentable et durable
Pour qu’un élevage ovin prospère, il faut non seulement de la nourriture, mais aussi un marché stable et des conditions sanitaires adéquates.
Le registre de commerce pour les éleveurs
La Fédération nationale des éleveurs de bétail veut inciter ses adhérents à s’inscrire au Centre national du registre de commerce. L’objectif est de développer des points de vente encadrés, notamment lors des fêtes religieuses. Une formalisation qui pourrait aider à mieux gérer l’offre et la demande, tout en limitant les abus.
Amélioration génétique et formation
Le Centre national de l’insémination artificielle et de l’amélioration génétique (CNIAAG) dispose de moyens pour sélectionner les meilleures lignées ovines. Mais pour être efficace, ce travail doit s’accompagner d’un suivi rigoureux sur le terrain : pesée des agneaux, suivi sanitaire… La formation des jeunes bergers se révèle également cruciale.
Les risques d’une stagnation à long terme
Si l’Algérie ne parvient pas à endiguer le recul des surfaces pastorales et à sécuriser l’alimentation des troupeaux, la dépendance aux importations de viande rouge pourrait encore s’aggraver. Cette perspective inquiète les agronomes.
La désertification en ligne de mire
Plusieurs rapports universitaires alertent sur la dégradation avancée des parcours steppiques. Le surpâturage, jumelé à la culture extensive d’orge, pousse la steppe vers la désertification. Lesarbustes fourragers ne repoussent pas si les animaux broutent la plante jusqu’à la racine.
Un impact social et économique
Une filière ovine défaillante signifie moins d’emplois dans les zones rurales et un exode vers les villes. Le prix de la viande, déjà élevé, pourrait flamber davantage. Pour les consommateurs, cela se traduirait par un recours quasi systématique aux viandes importées, pesant sur la balance commerciale du pays.
L’importance d’une démarche participative
Au-delà des mesures techniques, la véritable révolution dans l’élevage algérien doit passer par une concertation globale. Les éleveurs, l’administration, les chercheurs et les ONG doivent travailler de concert.
La base avant tout
L’initiative de Djelfa vient justement de la base, à travers l’UNPA et la CNA. Cette dynamique est prometteuse : les éleveurs expriment leurs besoins et proposent leurs solutions. L’administration, quant à elle, doit se montrer plus à l’écoute et moins bureaucratique.
Une responsabilisation collective
La gestion d’une steppe ne peut reposer sur le seul État. Les propriétaires (ou co-propriétaires) de terres Arch et les concessionnaires ont un rôle clé. Il faut qu’ils prennent conscience de l’impact de leurs pratiques de pâturage et de labour. Sans une gestion raisonnée, les efforts de reboisement ou de culture fourragère resteront vains.
Conclusion
L’Algérie se trouve à un tournant décisif pour son élevage ovin. Éprouvée par la sécheresse, le surpâturage et la hausse de la demande, la filière peine à répondre aux besoins du marché. D’où le recours persistant à l’importation de viande, lourd de conséquences financières et stratégiques.
Cependant, l’organisation de rencontres comme celle de Djelfa montre qu’il existe une volonté de prendre le taureau par les cornes. Les éleveurs, les responsables agricoles et les chercheurs travaillent à des solutions. Les expériences internationales (Australie, Tunisie) prouvent que c’est possible, à condition de miser sur des fourrages adaptés (atriplex, opuntia) et une gestion intelligente du foncier.
Plus qu’une simple question économique, il s’agit de préserver un savoir-faire pastoral ancré dans l’histoire du pays. La filière ovine est, en effet, un pilier du tissu rural et un symbole pour beaucoup d’Algériens. Reste à savoir si la volonté politique, l’adhésion des acteurs et la rigueur technique suivront sur le long terme. Si tel est le cas, l’Algérie pourrait enfin inverser la tendance et cesser de dépendre d’importations massives pour nourrir sa population en viande rouge.