L’Italie renforce son offensive économique en Afrique, et l’Algérie occupe une place de choix dans cette nouvelle dynamique. Sous le sceau du plan Mattei, Rome multiplie les partenariats dans le secteur agricole, misant sur des technologies de pointe pour accélérer la production de denrées essentielles. Dernière illustration en date : le groupe aérospatial Leonardo et le géant agro-industriel BF s’allient pour accompagner le développement agricole de plusieurs pays africains, dont l’Algérie.
Objectif déclaré : révolutionner l’agriculture dans les zones semi-arides et sahariennes, grâce à des solutions satellites et des investissements massifs sur le terrain. Un projet qui s’inscrit dans une stratégie globale, alors que l’Italie entend renforcer son rôle de partenaire privilégié dans la transformation agricole africaine.
L’Algérie, nouvelle terre d’accueil pour la technologie italienne
Des projets au cœur du Sahara
Depuis juillet 2024, le groupe italien BF (Bonifiche Ferraresi) s’est déjà engagé dans un projet ambitieux de production de blé et de légumineuses sur 36 000 hectares dans la région de Timimoun, en plein Sahara algérien. L’initiative a suscité beaucoup d’attention, tant la zone est réputée pour ses conditions climatiques difficiles.
Six mois plus tard, c’est El Meniaa, toujours dans le Sahara, qui accueille le second grand chantier : 50 000 hectares destinés à la culture de la canne à sucre. Les officiels algériens y voient une opportunité de diversifier la production agricole et de réduire les importations, tandis que BF veut prouver la viabilité de l’agriculture intensive en milieu désertique, à condition d’y injecter des moyens colossaux.
Le plan Mattei, fer de lance de la stratégie italienne
Ces initiatives s’inscrivent dans le cadre du plan Mattei, une feuille de route mise en avant par le gouvernement italien pour soutenir les pays africains partenaires. Outre l’Algérie, neuf États figurent dans la première vague, auxquels se sont ajoutés récemment l’Angola, le Ghana, la Mauritanie, la Tanzanie et le Sénégal.
Le ministre italien des Affaires étrangères promet des investissements sans précédent dans le secteur agricole, afin de transformer les terres arides en surfaces exploitables. L’idée est de combiner ressources financières, expertise italienne et partenariats avec les autorités locales pour répondre à la demande croissante en denrées alimentaires.
Leonardo et BF : un duo au service de l’innovation
Données satellitaires et surveillance hydrique
Leonardo, leader italien de l’aérospatiale, apporte au projet son savoir-faire technologique. Son rôle ? Fournir des données satellitaires pour analyser la qualité des sols, surveiller la disponibilité en eau et anticiper les changements climatiques. Les satellites de Telespazio – une co-entreprise franco-italienne – et d’e-Geos, filiale de Leonardo, permettront d’évaluer la progression des cultures, de détecter les risques d’érosion ou les infestations de parasites.
Cette approche high-tech est cruciale pour optimiser l’usage des ressources dans un environnement semi-aride, où chaque goutte d’eau compte. Les images satellite offrent une vision globale, identifiant par exemple les zones les plus favorables à la culture de la canne à sucre ou du blé. Elles peuvent aussi signaler les points critiques en cas de stress hydrique.
BF, un géant agro-industriel prêt à investir
De son côté, BF prévoit d’injecter 400 millions d’euros en trois ans, selon les déclarations de son directeur général, Federico Vecchioni. Le groupe veut développer des fermes de grande superficie, importées du modèle européen, et miser sur des variétés végétales adaptées à la chaleur et à la rareté de l’eau.
Mais l’enjeu ne se limite pas à la productivité : BF souhaite aussi transmettre des compétences aux communautés locales. « Le projet vise à donner aux populations les outils nécessaires pour gérer leurs richesses agricoles, avec une approche non-colonialiste », souligne Federico Vecchioni. L’idée est de former des techniciens, des agronomes et des gestionnaires algériens capables de pérenniser les cultures après la période d’installation.
Une ambition continentale, un focus sur l’Algérie
L’Algérie comme vitrine du savoir-faire italien
Pourquoi l’Algérie occupe-t-elle une place centrale dans cette stratégie ? Le pays est perçu par Rome comme un partenaire énergique, engagé dans la modernisation de son agriculture. Avec ses vastes étendues sahariennes, l’Algérie offre un terrain d’expérimentation hors norme. Si la canne à sucre et le blé parviennent à s’épanouir dans ces conditions extrêmes, le modèle pourra être reproduit dans d’autres régions sahariennes d’Afrique.
Le gouvernement algérien, de son côté, y voit la possibilité de renforcer sa sécurité alimentaire. Alors que la population augmente, le recours à l’importation de céréales et de sucres pèse lourd sur la balance commerciale. Les autorités tablent sur le soutien italien pour dynamiser le secteur, booster les rendements et créer de l’emploi dans des zones souvent délaissées.
Un potentiel de croissance partagé
L’Afrique attire de plus en plus d’investisseurs italiens, et pas seulement dans l’agro-industrie. Les secteurs de l’énergie, des infrastructures et des télécommunications suscitent également l’intérêt. Les officiels italiens, à commencer par la Première ministre Meloni, affirment vouloir nouer des partenariats gagnant-gagnant.
Pour l’Algérie, ce partenariat renforce la diversification de ses alliés. Historiquement tournée vers la France, la Russie ou la Chine, elle mise désormais sur l’Italie pour combler une partie de ses lacunes agricoles. À long terme, l’enjeu est d’atteindre une forme d’autonomie sur certains produits stratégiques (céréales, sucres, légumineuses).
Quels défis pour la réussite de ces projets ?
Enjeux écologiques et besoins en eau
Cultiver le désert n’est pas une tâche aisée. Les précédentes expériences, menées par des sociétés ou des coopératives nationales, ont parfois échoué par manque d’eau ou de technicité. Pour cultiver 50 000 hectares de canne à sucre, il faut mettre en place des systèmes d’irrigation performants, éviter la surexploitation des nappes phréatiques et anticiper l’impact sur la faune et la flore locales.
Leonardo promet une surveillance fine grâce à ses satellites, afin d’optimiser la gestion hydrique. Mais la question demeure : l’Algérie pourra-t-elle soutenir un effort irrigué de cette ampleur dans une zone saharienne ? Les études d’impact environnemental seront déterminantes pour pérenniser la culture sans assécher les ressources.
Main-d’œuvre et formation
Les projets annoncés par BF et Leonardo ne feront pas sens si la main-d’œuvre algérienne n’est pas formée. Or, le travail agricole en milieu saharien demande des compétences particulières. Il faut manier des équipements sophistiqués, comprendre les cycles de culture en zone aride et maîtriser la maintenance des systèmes d’irrigation.
Le gouvernement algérien et les entreprises italiennes misent sur des centres de formation spécialisés, avec des partenariats universitaires. L’un des objectifs est d’installer localement des équipes capables de gérer la chaîne de production de bout en bout. À terme, l’Algérie pourrait devenir un exemple pour d’autres pays africains confrontés aux mêmes défis climatiques.
Perspectives d’avenir : un modèle réplicable ?
L’essor de l’agriculture saharienne
Si le pari italien réussit, l’agriculture saharienne pourrait devenir un pôle majeur de production, complémentaire des zones côtières et septentrionales. On imagine déjà un développement de filières dérivées : transformation agroalimentaire, emballage, exportation régionale ou même internationale.
Cette « success story » potentielle n’est pas sans rappeler d’autres initiatives de mise en culture des déserts, par exemple en Israël ou aux Émirats arabes unis, où la recherche de techniques d’irrigation innovantes a porté ses fruits. Reste à voir si le modèle saura s’adapter aux réalités algériennes, marquées par une gouvernance centralisée et une bureaucratie parfois lourde.
Un exemple pour d’autres partenariats en Afrique
Au-delà de l’Algérie, l’Italie compte reproduire ce modèle dans différents pays du plan Mattei. L’ambition est de créer un maillage de projets agricoles à haute valeur ajoutée, soutenus par la technologie satellitaire et l’expertise agro-industrielle. Une stratégie qui pourrait répondre à la demande croissante en denrées alimentaires, tout en offrant des débouchés aux entreprises italiennes.
Dans cette optique, Rome entend présenter ses projets comme non-colonialistes, en accordant un rôle central aux populations locales. Un discours qui tranche avec certaines critiques adressées à des puissances étrangères, accusées de négliger les intérêts des communautés rurales. Si Leonardo et BF parviennent à démontrer que leurs investissements profitent concrètement aux agriculteurs et à l’économie locale, cette approche pourrait séduire de nombreux gouvernements africains.
Conclusion
L’Algérie et l’Italie, deux partenaires historiques, entrent dans une nouvelle ère de coopération agricole grâce aux initiatives de Leonardo et BF. En misant sur des technologies satellitaires avancées et des investissements colossaux, les groupes italiens cherchent à transformer le Sahara en un vaste laboratoire d’agriculture moderne. L’enjeu est immense : réussite signifirait une augmentation significative de la production alimentaire, une réduction des importations et la création d’emplois en milieu désertique.
Toutefois, le chemin est semé d’embûches. Les projets sahariens requièrent une gestion fine de l’eau, une formation approfondie de la main-d’œuvre et un cadre réglementaire stable. L’Algérie est-elle prête à relever ces défis ? Les partenaires italiens trouveront-ils leur compte dans ce pays en mutation rapide ? Les prochains mois fourniront des réponses plus précises. Une chose est sûre : si cette stratégie aboutit, l’Algérie pourrait devenir le fleuron de l’agriculture saharienne, ouvrant la voie à d’autres nations africaines en quête de solutions durables pour nourrir leurs populations grandissantes.