Le recteur de la Grande Mosquée de Paris, Chems-Eddine Hafiz, est au cœur d’une nouvelle controverse. Dans une directive adressée aux imams de cette institution, il leur a demandé d’inclure une invocation en faveur de la France lors des prières du vendredi. Ce geste, survenu en pleine période de tensions diplomatiques entre Alger et Paris, suscite des interrogations et des critiques virulentes, notamment sur l’utilisation de fonds algériens pour financer ces initiatives. Cette décision, considérée comme une entorse aux traditions religieuses et un acte politiquement maladroit, remet sur le devant de la scène les relations complexes entre la mosquée, l’Algérie, et la France.
Une invocation polémique : quelle place pour la religion dans la diplomatie ?
Dans sa directive, Chems-Eddine Hafiz demande aux imams de prier pour « préserver la France, son peuple et ses institutions » et « faire de la France un pays sûr et paisible ». Cette invocation, inédite dans les mosquées de la Grande Mosquée de Paris, provoque des remous. Des théologiens dénoncent une innovation incompatible avec les pratiques scripturaires du Coran et de la Sounna. En effet, les prières rituelles sont régies par des textes religieux et ne peuvent être modifiées ou adaptées à des considérations politiques ou diplomatiques.
Cette directive soulève également des questions sur la légitimité de Chems-Eddine Hafiz à imposer une telle décision. Alors que les imams de la Grande Mosquée sont rémunérés par des fonds algériens, nombreux sont ceux qui considèrent que s’il devait y avoir une invocation, elle devrait logiquement être dédiée à l’Algérie. Cette décision apparaît d’autant plus incongrue qu’elle intervient dans un contexte où les relations entre Alger et Paris sont particulièrement tendues.
Un timing mal choisi : entre tensions diplomatiques et intérêts personnels
La directive de Hafiz intervient peu après une rencontre entre Emmanuel Macron et les responsables des cultes en France, au cours de laquelle le président français a tenu des propos critiques envers l’Algérie. Ce timing ne manque pas de susciter des interrogations. Est-ce une initiative personnelle du recteur, cherchant à se rapprocher des cercles d’influence français, ou une réponse implicite aux critiques qu’il subit en France pour ses liens supposés avec l’Algérie ?
Des analystes voient dans cette directive une tentative maladroite de Chems-Eddine Hafiz de réaffirmer sa loyauté envers les institutions françaises. Après avoir été critiqué par des figures influentes telles que le Crif et la Licra, Hafiz semble chercher à regagner du crédit auprès de ses soutiens en France. Mais cette démarche risque d’être perçue comme une trahison par Alger, qui revendique la paternité de la Grande Mosquée de Paris comme un symbole de son histoire et de sa diplomatie culturelle.
La Grande Mosquée de Paris : un bien algérien sous influence française
La Grande Mosquée de Paris, construite en 1926, est depuis toujours un objet de fierté pour l’Algérie. Financé en partie comme un hommage aux soldats musulmans morts pour la France durant la Première Guerre mondiale, ce lieu de culte est considéré par Alger comme un symbole de son influence culturelle en France.
Pourtant, au fil des années, ce statut symbolique s’est érodé, notamment à cause des tensions récurrentes entre les responsables de la mosquée et les autorités algériennes. L’ancien ambassadeur d’Algérie en France, Mohamed-Antar Daoud, avait récemment réitéré que la mosquée restait un bien algérien. Cette directive controversée de Hafiz risque donc d’aggraver les tensions entre Alger et cette institution qu’elle considère comme une extension de sa politique culturelle à l’étranger.
Une décision aux implications politiques et diplomatiques
En demandant une invocation en faveur de la France, Chems-Eddine Hafiz ne se limite pas à une initiative religieuse : il s’agit également d’un geste lourd de signification politique. Alors que les relations entre l’Algérie et la France traversent une période de tensions, ce geste peut être perçu comme un soutien implicite à la France, voire comme une prise de position contre l’Algérie.
Pour les autorités algériennes, cette directive pourrait être interprétée comme une ingérence dans un domaine qu’elles considèrent comme leur prérogative. Elle met également en lumière les tensions latentes autour de la gestion de la Grande Mosquée de Paris, souvent accusée de naviguer entre deux allégeances, sans jamais véritablement satisfaire ni Paris ni Alger.
La critique théologique : une innovation risquée
Outre les implications politiques, cette directive pose également un problème théologique. Des érudits religieux soulignent que les prières rituelles en Islam sont clairement définies par les textes sacrés et ne peuvent être modifiées pour répondre à des impératifs politiques ou diplomatiques.
Cette initiative pourrait créer un précédent controversé, non seulement au sein des mosquées affiliées à la Grande Mosquée de Paris, mais également dans les autres lieux de culte en France. Les imams, déjà sous pression pour répondre aux attentes des autorités françaises, pourraient être amenés à adopter des pratiques contestées par les fidèles et les érudits religieux.
Comment l’Algérie pourrait réagir ?
Face à cette directive controversée, Alger pourrait choisir de réagir fermement. La revendication de la paternité de la Grande Mosquée de Paris par l’Algérie a toujours été un point sensible dans les relations bilatérales. Une telle initiative de Hafiz, perçue comme un acte de défiance, pourrait pousser les autorités algériennes à exiger des changements dans la gouvernance de la mosquée.
En outre, cette polémique intervient à un moment où l’Algérie cherche à renforcer son influence culturelle et diplomatique en Europe. Une réponse ferme à cette directive pourrait s’inscrire dans une stratégie plus large visant à réaffirmer son rôle dans la gestion des lieux de culte et des institutions culturelles en France.
un faux pas lourd de conséquences
La décision de Chems-Eddine Hafiz d’introduire une invocation pour la France dans les prières du vendredi est une initiative maladroite qui risque d’avoir des répercussions importantes. En mêlant religion, politique et diplomatie, le recteur de la Grande Mosquée de Paris s’est engagé sur un terrain glissant, à la fois sur le plan théologique et dans le cadre des relations franco-algériennes.
Alors que les tensions entre Alger et Paris sont à leur paroxysme, ce geste est perçu comme un affront par l’Algérie et comme une tentative opportuniste par les observateurs. Dans un contexte aussi sensible, la prudence aurait dû primer sur l’ambition personnelle ou les considérations diplomatiques. Mais à l’heure actuelle, il semble que cette décision n’ait fait que raviver les tensions et renforcer les incompréhensions entre les deux pays.