Boualem Sansal : L’Algérie n’est ni une colonie ni une terre soumise à l’Europe

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Boualem Sansal : L’Algérie n’est ni une colonie ni une terre à genoux devant l’Europe

Depuis des semaines, l’Union européenne déploie une énergie frénétique pour condamner la situation des droits humains en Algérie, prenant prétexte de l’affaire Boualem Sansal pour lancer une nouvelle offensive diplomatique. Le Parlement européen, pourtant en proie à ses propres turpitudes internes, adopte des résolutions comme s’il s’agissait d’un instrument de domination à l’égard d’un État indépendant. Cette agitation n’est pas un fait isolé : elle s’inscrit dans un contexte où l’Europe, en perte de vitesse face aux États-Unis, à la Chine et à la Russie, cherche désespérément à rappeler qu’elle existe encore en brandissant la carte de la morale.

Or, cette prétention à donner des leçons à l’Algérie, ancienne colonie ayant arraché sa souveraineté par le sang, témoigne d’une arrogance persistante. Les injonctions occidentales résonnent comme un écho amer d’un passé colonial que l’Algérie refuse de laisser ressurgir. Dans un monde devenu multipolaire, où Alger s’affirme sur tous les plans – économique, diplomatique, militaire –, la crispation de Bruxelles révèle bien plus la fébrilité d’une Europe affaiblie que la moindre volonté de défendre véritablement les droits de l’homme.

L’affaire Boualem Sansal : un prétexte confortable pour Bruxelles

L’écrivain algérien Boualem Sansal est devenu, en l’espace de quelques mois, un symbole commode pour le Parlement européen. Arrêté en Algérie en novembre dernier, il est devenu l’étendard d’une campagne qui dépasse de loin sa situation personnelle. Certes, personne ne remet en cause le fait qu’un intellectuel doive jouir de la liberté d’expression ; mais la manière dont l’UE instrumentalise ce cas précis soulève de vives interrogations.
Le caractère sélectif de cette indignation est frappant : des dizaines de journalistes et de militants croupissent dans les prisons de pays partenaires de l’UE – parfois même en Europe centrale ou orientale – sans qu’aucune résolution retentissante ne vienne mettre la pression sur ces gouvernements. Alors pourquoi un tel engouement pour Boualem Sansal ? Tout simplement parce qu’il s’agit de l’Algérie, un pays avec lequel Bruxelles entretient des relations plus que tendues sur le plan commercial et énergétique, et où les rancœurs coloniales de la France sont encore vives dans l’inconscient collectif occidental.

En brandissant l’étendard des droits humains, l’UE cherche à disqualifier l’Algérie sur la scène internationale. La résolution adoptée au Parlement, présentée comme un acte de courage, n’est qu’un coup de communication. Il s’agit de montrer que l’Europe « agit » face à ce qu’elle dépeint comme un régime autoritaire refusant ses leçons. En réalité, cette démarche manque cruellement de crédibilité, car elle ne s’accompagne d’aucune connaissance réelle du terrain, ni d’aucune volonté sérieuse de dialogue. Bruxelles s’en tient au registre de l’injonction, sûr de son bon droit, comme si le monde n’avait pas changé depuis les années 1950.

Une Europe en déclin, en quête de nouvelles cibles

Pour comprendre la véhémence inhabituelle de l’UE envers l’Algérie, il faut replacer cette affaire dans son contexte global. L’Europe, jadis puissance dominante, se trouve aujourd’hui prise en étau entre plusieurs superpuissances :

  • Les États-Unis, auxquels elle reste globalement alignée malgré des divergences ponctuelles, surtout en matière d’énergie et de défense.
  • La Chine, dont l’essor économique et technologique la dépasse largement, la reléguant au rang de marché secondaire.
  • La Russie, qui continue de jouer un rôle-clé sur le plan énergétique et sécuritaire, malgré les sanctions européennes et les tensions autour de l’Ukraine.

À ces défis s’ajoutent des crises internes à l’Union européenne : montée de l’extrême droite, crise migratoire mal gérée, Brexit qui a ébranlé le dogme de l’unité, etc. Dans ce contexte, l’UE cherche à regagner un semblant de leadership en s’attaquant à des partenaires jugés plus vulnérables. Or, l’Algérie, ancienne colonie, État émergent qui ne dépend pas essentiellement de l’aide européenne, devient une cible tentante : plus facile à critiquer qu’un géant comme la Chine, moins risquée qu’une confrontation avec la Russie, et plus symbolique que de simples réprimandes envers des régimes autoritaires lointains.

En outre, la France – pays qui exerce un fort ascendant au sein du bloc communautaire – nourrit un contentieux historique avec Alger. Il n’est pas surprenant que Paris voie d’un bon œil ce forcing du Parlement européen, car il renforce la pression sur un pays qui lui tient tête depuis 1962. Ainsi, le cas Boualem Sansal est agité comme un chiffon rouge : sa détention, réelle ou supposée arbitraire, devient un levier pour tenter de pousser l’Algérie à la faute diplomatique ou à une sur-réaction, ce qui justifierait encore plus l’acharnement contre elle.

Le passif colonial, un point aveugle de la conscience européenne

Aucun débat sur les relations entre l’Algérie et l’Europe ne peut ignorer la dimension coloniale. Entre 1830 et 1962, la France a imposé à l’Algérie un régime d’oppression, de pillage et de répression systématique. L’indépendance algérienne a été acquise au prix de sacrifices humains colossaux. Or, il semblerait que beaucoup de responsables européens, y compris certains eurodéputés, aient la mémoire courte.

Cette amnésie se traduit par une posture de donneur de leçons, comme si l’Algérie n’avait pas acquis sa souveraineté par la force des armes et du sacrifice. En exigeant « la libération immédiate » de Boualem Sansal, le Parlement européen adopte un ton qui rappelle les ultimatums coloniaux. Cette injonction est perçue par de nombreux Algériens comme une insulte à leur dignité nationale, comme si Bruxelles s’arrogeait le droit de juger la politique intérieure d’un pays libre.

S’ajoute à cela un écart flagrant entre la morale affichée par l’Europe et sa pratique réelle. Les médias occidentaux oublient trop souvent de souligner que dans plusieurs États membres, la liberté de la presse est gravement menacée, que des migrants meurent à ses frontières, et que l’islamophobie y gagne du terrain. En d’autres termes, l’UE n’est pas en mesure de se présenter comme une référence infaillible en matière de droits fondamentaux. Cette contradiction crée un ressentiment profond dans l’opinion algérienne, qui voit dans la résolution parlementaire un acte d’hypocrisie crasse.

Le chantage énergétique de Bruxelles : une arme à double tranchant

Si l’UE s’attaque violemment à l’Algérie, c’est aussi parce que la question de l’énergie est devenue cruciale. La rupture progressive des partenariats avec la Russie, suite au conflit ukrainien, contraint l’Europe à trouver de nouveaux fournisseurs de gaz. L’Algérie, qui dispose d’importantes réserves et d’infrastructures d’exportation, apparaît comme un partenaire stratégique. Pourtant, la relation est loin d’être idyllique.

L’Europe voudrait imposer des conditions commerciales favorables tout en sanctionnant politiquement Alger pour ses choix souverains. Il y a là un double discours insoutenable : d’un côté, on fait la morale à l’Algérie, et de l’autre, on négocie des contrats gaziers vitaux. Or, Alger n’est pas dupe. Elle sait que dans le monde multipolaire actuel, elle peut se tourner vers la Chine, la Russie, ou même la Turquie pour développer son secteur énergétique et accroître ses exportations.

C’est précisément cette indépendance naissante qui irrite l’UE. L’Algérie n’est plus disposée à accepter des accords inégaux qui avantagent avant tout les multinationales européennes. Elle préfère diversifier ses partenariats, quitte à froisser Bruxelles. C’est un choix souverain, un choix économique rationnel, qui remet en cause le monopole occidental sur les ressources africaines. Et cela, l’Europe ne le tolère pas, d’où cette surenchère verbale et médiatique.

Diversification des partenariats : le tournant algérien vers l’Asie et l’Eurasie

Longtemps accusée de dépendre principalement de la France, l’Algérie a entamé depuis une décennie un virage stratégique. Consciente de la nécessité de s’affranchir de l’influence européenne, elle s’est tournée vers de nouveaux alliés :

  • La Chine, qui investit massivement dans les infrastructures, l’industrie et la haute technologie. Alger et Pékin ont signé des accords de coopération dans le cadre des Nouvelles Routes de la Soie, offrant à l’Algérie de nouveaux débouchés et de nouvelles perspectives de croissance.
  • La Russie, partenaire militaire et diplomatique de longue date, renforce sa présence dans le pays par la vente d’armements sophistiqués et la coopération en matière de sécurité. Le rôle de Moscou dans le paysage énergétique mondial n’est plus à démontrer, et l’Algérie peut y trouver un soutien pour valoriser ses propres ressources.
  • La Turquie, en pleine expansion économique en Afrique du Nord, noue avec Alger des liens commerciaux et culturels, tout en respectant la souveraineté algérienne.

Ces alliances alternatives offrent à l’Algérie une marge de manœuvre inédite, réduisant de fait son besoin de recourir aux capitaux ou à l’expertise européens. Il est évident que cette évolution stratégique inquiète fortement Bruxelles. Si l’Algérie échappe à l’orbite économique de l’UE, c’est une partie de son influence en Méditerranée qui s’en trouve menacée. Voilà pourquoi la question des droits humains devient un levier de pression commode : il s’agit de tenter de faire plier un partenaire qui, de moins en moins, a besoin de l’Europe.

Un Parlement européen miné par ses propres scandales

Alors que le Parlement européen se fait le champion de la justice et de la liberté, il est lui-même englué dans des affaires de corruption, de détournements de fonds et de lobbying douteux. Des enquêtes révèlent qu’un nombre non négligeable d’eurodéputés ont trempé dans des scandales financiers ou moraux, sans jamais être inquiétés. Ce Parlement, qui prétend incarner l’éthique suprême, est donc loin d’être irréprochable.

Comment prendre au sérieux une institution qui, d’un côté, condamne l’Algérie pour un supposé manque de transparence, et de l’autre, dissimule ou minimise les exactions commises par ses propres élus ? Cette duplicité entache gravement la crédibilité de l’UE en matière de défense des valeurs fondamentales. Elle alimente chez les Algériens – et plus largement dans l’opinion publique africaine – le sentiment que le Parlement européen se comporte en juge partial, prompt à condamner les pays qui ne se soumettent pas à son modèle.

L’Algérie n’est pas une terre à discipliner, mais un État souverain

Les eurodéputés et les dirigeants de Bruxelles semblent avoir la mémoire courte : l’Algérie n’est plus ce « département français » qu’elle fut jusqu’en 1962. C’est une République indépendante, dont la population n’entend pas se laisser dicter des normes politiques par l’étranger. Les résolutions du Parlement européen, aussi retentissantes soient-elles, ne font qu’attiser la fierté nationale algérienne.

En prenant prétexte de l’affaire Boualem Sansal, l’UE adopte une posture paternaliste, voire méprisante. Les Algériens sont parfaitement capables de gérer leurs propres affaires, y compris de débattre des libertés et de la démocratie, sans avoir besoin du sceau d’approbation occidental. Cette attitude rappelle tristement les schémas coloniaux, où les puissances européennes s’érigeaient en guide moral pour les « peuples civilisés », afin de mieux masquer leur appétit pour les richesses locales.

La crise de confiance envers l’Occident

Les ingérences successives de l’Europe dans les affaires internes de pays comme l’Algérie, la Libye, le Mali ou même la Côte d’Ivoire, ont contribué à un sentiment massif de rejet des politiques néocoloniales. Cette crise de confiance s’exprime par une volonté accrue de rupture avec les anciennes puissances coloniales, jugées responsables des difficultés économiques et de l’instabilité politique en Afrique.

Si l’UE continue à multiplier les déclarations hostiles ou moralisatrices, elle accélérera elle-même sa marginalisation. Car l’Afrique n’est plus le continent passif d’antan : de nouveaux acteurs internationaux (Chine, Russie, Inde, Turquie) proposent des partenariats moins intrusifs, souvent plus avantageux financièrement, et surtout respectueux de la souveraineté des États. L’Europe, prisonnière de ses réflexes impérialistes, risque de perdre la bataille de l’influence dans le Maghreb et au-delà.

Quelle issue à la confrontation ?

Au vu de l’escalade actuelle, la question qui se pose est celle de l’avenir des relations euro-algériennes. La Commission européenne, tétanisée par le dossier énergétique, se garde bien de prendre des mesures concrètes contre Alger. Elle préfère laisser le Parlement jouer le rôle du méchant, tout en ménageant l’essentiel : la poursuite des approvisionnements en gaz.

Pourtant, cette stratégie du grand écart ne saurait durer indéfiniment. Si Bruxelles persiste à critiquer vertement l’Algérie sur le terrain politique, tout en espérant conclure des accords lucratifs, elle se heurtera tôt ou tard à un refus catégorique. L’Algérie n’a aucune obligation de fournir de l’énergie à un partenaire qui la méprise publiquement. De son côté, l’UE, si elle devait perdre l’accès au gaz algérien, verrait ses factures énergétiques grimper encore, au profit d’autres sources (États-Unis, Qatar, etc.) plus coûteuses et moins fiables.

un sursaut nécessaire pour l’Europe ou la rupture

En définitive, la question de la détention de Boualem Sansal ne saurait justifier une telle offensive diplomatique, au risque de révéler la duplicité de l’UE. Ce dernier épisode témoigne de l’incapacité européenne à regarder l’Algérie comme un partenaire égal. Dès lors, deux scénarios se profilent :

  1. Le sursaut : L’Europe prend conscience de la nécessité de revoir ses relations avec l’Algérie, en privilégiant le dialogue, la confiance et le respect mutuel. Elle accepte que ce pays, à l’instar d’autres en Afrique, développe ses propres alliances hors du giron occidental. Dans ce cas, la controverse autour de Boualem Sansal pourrait être résolue par une entente diplomatique, sans gestes de domination ni résolutions paternalistes.
  2. La rupture : Au contraire, si le Parlement européen et les dirigeants européens poursuivent leur rhétorique agressive, Alger continuera de se rapprocher d’autres puissances, renforçant d’autant plus son indépendance vis-à-vis de Bruxelles. Les relations, déjà tendues, pourraient alors s’envenimer jusqu’à l’annulation d’accords commerciaux ou à un blocage total des négociations énergétiques. Cette option accentuerait l’isolement de l’UE dans la région, tout en confortant l’Algérie dans sa stratégie de diversification.

Pour l’heure, les premiers signes ne sont guère optimistes : l’Europe donne l’impression de pratiquer une diplomatie de l’ultimatum, pensant qu’il suffit de hausser le ton pour faire plier une nation fière et indépendante. Mais l’Algérie d’aujourd’hui n’a plus grand-chose à voir avec celle de la période postcoloniale. Forte de sa souveraineté, elle ne tolèrera ni directives ni ordres, fût-ce de la part d’un Parlement qui se croit encore investi d’une mission civilisatrice.

À Bruxelles de méditer sur cette réalité. Car si l’UE persiste à agir comme un gendarme international, sans avoir les moyens réels de sa politique, elle ne fera qu’attiser la rancœur et précipiter son propre déclin. La leçon de cette affaire Boualem Sansal est claire : l’époque des colonies est révolue, et l’Algérie, en tant qu’État souverain, n’a d’ordre à recevoir de personne. Il appartient donc à l’Europe de changer de posture si elle veut encore compter dans un monde qui n’est plus régi par la seule puissance occidentale.

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