Une vidéo à la fois intrigante et controversée circule depuis peu sur les réseaux sociaux : elle montrerait l’écrivain franco-algérien Boualem Sansal, filmé à son insu, en train d’évoquer ses rencontres avec des responsables israéliens. Selon les commentaires qui l’accompagnent, cette séquence prouverait que Sansal est un agent du Mossad chargé de convaincre l’Algérie de nouer des relations avec Israël depuis les années 1990. Alors qu’il est actuellement détenu à Alger et que des voix françaises s’élèvent pour réclamer sa libération, cette « révélation » jette un nouveau pavé dans la mare. Faut-il y voir une tentative de manipulation, une fuite volontaire de la part des services secrets israéliens, ou la simple exploitation d’un document compromettant par des protagonistes cherchant à déstabiliser le gouvernement algérien ? Décryptage d’une affaire tentaculaire qui dépasse largement la figure de l’écrivain.
Une vidéo qui surgit à un moment critique
Le rôle central de Boualem Sansal dans la crise actuelle
Avant même la diffusion de cette fameuse vidéo, Boualem Sansal était au cœur d’une crise diplomatique inédite entre la France et l’Algérie. Arrêté en novembre dernier à Alger, il est depuis détenu dans des conditions jugées inquiétantes par ses soutiens. Officiellement, il lui est reproché d’avoir enfreint la législation algérienne, bien que les chefs d’inculpation précis restent flous. Pour ses partisans, il est surtout victime d’un climat de tensions entre Alger et Paris, aggravé par la reconnaissance par Emmanuel Macron de la « marocanité » du Sahara occidental et par divers incidents, dont l’expulsion ratée d’un influenceur algérien.
Une séquence « inédite » mise en ligne
Selon les rumeurs, la vidéo aurait été enregistrée en 2012 ou peu après, lors d’un déplacement de Boualem Sansal en Israël et dans les territoires occupés. Elle aurait été conservée par le Mossad, les services secrets israéliens, avant de ressurgir sur Internet à un moment clé : celui où Paris déploie de grands moyens pour obtenir la libération de Sansal. D’un point de vue chronologique, la divulgation de cette séquence coïncide avec des pressions accrues de la France, via notamment le ministre de l’Intérieur Bruno Retailleau et le chef de la diplomatie Jean-Noël Barrot, qui menacent l’Algérie de « représailles » si elle ne relâche pas l’écrivain.
Une manœuvre de déstabilisation ?
Pourquoi le Mossad, ou toute autre entité qui détiendrait la vidéo, aurait-il intérêt à la rendre publique aujourd’hui ? Plusieurs hypothèses émergent :
- Un moyen de faire pression sur Alger : en soulignant la collaboration de Sansal avec Israël, ses détracteurs chercheraient à discréditer l’intéressé et à justifier son maintien en détention.
- Une riposte à la DGSE : certains observateurs y voient un règlement de comptes entre les services secrets israéliens et français, chacun cherchant à protéger son « agent ».
- Une diversion médiatique : la diffusion de cette vidéo, si elle est authentique, détourne l’attention du public international des critiques adressées à Alger sur le dossier Sansal, en focalisant le débat sur l’allégeance présumée de l’écrivain.
Retour sur les allégations : Sansal, agent du Mossad depuis 1997 ?
La rencontre avec Netanyahou évoquée dans la vidéo
Le contenu de la séquence, relayé par plusieurs comptes anonymes sur les réseaux sociaux, fait état d’une rencontre supposée entre Boualem Sansal et Benyamin Netanyahou lors du Forum de Davos en 1997. L’Algérie participait alors pour la première fois à ce rendez-vous économique mondial sous la présidence de Liamine Zeroual. D’après les propos attribués à Sansal, il aurait profité de sa position officielle au ministère de l’Industrie pour encourager la délégation algérienne à nouer un discret contact avec des responsables israéliens.
Ces affirmations, difficiles à vérifier, dressent le portrait d’un émissaire de l’entité sioniste, mandaté pour lever les réticences d’Alger à une normalisation avec Israël. Mais elles se heurtent à un certain nombre de zones d’ombre : Sansal a-t-il réellement eu l’influence nécessaire pour infléchir la position diplomatique de l’Algérie ? Ses liens présumés avec le Mossad sont-ils documentés par d’autres sources ?
Des voyages en Israël qui alimentent la suspicion
Boualem Sansal ne s’est jamais caché de son souhait de pouvoir s’exprimer en Israël et d’y promouvoir le dialogue culturel. En 2012, sa participation à des événements littéraires dans l’État hébreu avait déjà provoqué la polémique en Algérie, où la question de la normalisation avec Tel-Aviv demeure hautement sensible. Les images tournées lors de ce déplacement, si elles ont bel et bien existé, auraient pu être exploitées comme une monnaie d’échange ou un outil de chantage. Le fait que ces documents surgissent maintenant alimente la thèse d’une instrumentalisation.
Une chronologie suspecte
Outre son passage à Davos en 1997, la vidéo fait écho à d’autres moments-clés de la carrière de Sansal :
- La décennie noire en Algérie (années 1990) : selon certains, la DGSE et le Mossad auraient noué des partenariats douteux pour déstabiliser le pays, période pendant laquelle Sansal, alors haut fonctionnaire, aurait pu fournir des informations sensibles.
- La visite en Israël de 2012 : moment où le Mossad aurait pu capter des enregistrements à l’insu de l’écrivain.
- 2023-2024 : la crise diplomatique entre Paris et Alger s’intensifie, suscitant un regain d’intérêt pour d’éventuelles compromissions entre Sansal, la France et Israël.
La guerre secrète entre la DGSE et le Mossad ?
Deux services de renseignement en quête d’influence
Le texte qui circule sur les réseaux sociaux évoque un accord tacite entre la DGSE (Direction générale de la Sécurité extérieure) et le Mossad pour gérer, voire éliminer Boualem Sansal afin de protéger des intérêts communs. Cette hypothèse, pour le moins troublante, renvoie à une lutte d’influence : la France chercherait à extraire son agent de prison, tandis qu’Israël mettrait en avant des preuves de sa loyauté pour s’en débarrasser définitivement ou le réduire au silence.
Si cette théorie peut relever du fantasme, elle trouve un certain écho dans les tensions géopolitiques actuelles, où le renseignement et la manipulation de l’opinion jouent un rôle croissant.
L’implication dans la création de Rachad et du MAK
L’article incriminé va plus loin, accusant directement la DGSE et le Mossad d’avoir soutenu des mouvements considérés comme « subversifs » en Algérie, tels que l’organisation islamiste de Rachad et le mouvement séparatiste du MAK. Sansal, présenté comme un relais de ces officines, aurait collaboré à divers projets de déstabilisation.
Ces accusations, non corroborées par des preuves tangibles, illustrent néanmoins la profondeur du fossé qui sépare aujourd’hui Alger de Paris et Tel-Aviv sur la question des libertés, des ingérences étrangères et de la sécurité nationale.
Les menaces de Xavier Driencourt : l’exfiltration ou l’exécution ?
Une proposition extrême
L’ancien ambassadeur de France à Alger, Xavier Driencourt, est cité comme ayant suggéré une opération spéciale sur le sol algérien pour « exfiltrer » Boualem Sansal. Selon les rumeurs, l’objectif réel serait moins de le sauver que de le faire taire définitivement. Cette hypothèse, qui prête à Driencourt des intentions meurtrières, semble relever de la spéculation, tant il paraît improbable qu’un haut diplomate français, même lié à la DGSE, recommande ouvertement une telle action.
Une faisabilité contestée
Au-delà du caractère moralement et légalement répréhensible d’une telle opération, son succès logistique relèverait de la gageure. L’Algérie dispose de services de sécurité expérimentés, d’une armée puissante et d’un maillage territorial difficilement pénétrable par des forces étrangères. Toute tentative d’exfiltration clandestine se heurterait à des obstacles insurmontables, risquant de provoquer un incident diplomatique majeur, voire un conflit armé.
Boualem Sansal : un simple écrivain ou un « agent tentaculaire » ?
Une image contrastée
Pour beaucoup, Boualem Sansal reste avant tout un romancier de talent, critique envers le système algérien et défenseur de la liberté d’expression. Son œuvre, traduite dans plusieurs langues, a reçu des distinctions prestigieuses. L’idée qu’il serait un agent infiltré depuis les années 1990 soulève donc un certain scepticisme.
Une affaire d’État tentaculaire ?
Selon les partisans de la thèse du complot, l’« affaire Sansal » ne se résume pas à la détention d’un intellectuel, mais à un vaste montage où s’entremêlent renseignements français, israéliens et luttes de pouvoir à Alger. Les uns y voient un fantasme, les autres y détectent des indices concordants prouvant que l’auteur aurait navigué entre plusieurs allégeances pour servir des agendas étrangers.
Lecture critique : un dossier explosif, mais peu étayé
L’importance de la prudence journalistique
Les allégations relayées par la vidéo et les commentaires qui l’accompagnent demeurent non vérifiées. Aucune institution officielle, qu’il s’agisse du gouvernement algérien, des autorités françaises ou d’Israël, n’a confirmé l’authenticité de la séquence. Les soupçons d’un montage, d’un enregistrement hors contexte ou d’un acte de désinformation ne peuvent être écartés.
Le risque de l’instrumentalisation médiatique
Dans un climat de défiance mutuelle, il est possible que cette « vidéo inédite » soit un outil de propagande, utilisé par des factions rivales pour discréditer l’adversaire. Sans preuves formelles, la thèse d’un Sansal agent du Mossad relève davantage de l’accusation politique que de la révélation fiable. Les médias et observateurs extérieurs doivent donc manier ces informations avec précaution.
Vers une intensification de la crise ?
Les scénarios possibles
Plusieurs chemins se dessinent pour la suite de cette affaire :
- Le procès de Sansal : Si le romancier est jugé en Algérie, les éléments de son dossier pourraient être rendus publics, révélant peut-être des informations inédites.
- Une libération négociée : Sous pression internationale, Alger pourrait décider de relâcher Sansal, notamment si les enjeux diplomatiques s’apaisent.
- Une escalade diplomatique : Si la France ou Israël persistaient à réclamer la libération sans négociation, Alger pourrait se braquer, ancrant la crise dans la durée.
Une affaire qui dépasse la personnalité de l’écrivain
L’affaire Boualem Sansal transcende la question de la liberté d’expression. Elle engage des considérations géopolitiques et des jeux d’influence entre plusieurs puissances, dans un contexte maghrébin déjà sous tension. L’image de l’écrivain, réduit au rôle de pion dans ce grand échiquier, soulève des interrogations sur les méthodes employées par les services de renseignement et la manière dont l’opinion publique est façonnée par des campagnes de communication agressives.
En fin de compte, la divulgation de cette « vidéo inédite » n’est peut-être qu’un épisode de plus dans une bataille d’images et de narratifs concurrents. Qu’il soit victime ou complice, Boualem Sansal cristallise les divisions entre Alger et Paris, entre Paris et Tel-Aviv, et plus largement entre différentes conceptions de la souveraineté, de la sécurité et de la mémoire historique. Le dénouement de cette affaire pourrait avoir des répercussions majeures sur la stabilité du Maghreb et la crédibilité des services secrets concernés.