Alger, envoyé spécial — La consommation de boissons énergisantes, fortement déconseillées aux mineurs, est devenue un phénomène alarmant dans les écoles algériennes, en particulier dans le cycle moyen. Ces produits, souvent perçus comme anodins par les adolescents, se révèlent être un danger latent pour leur santé physique et mentale. La direction de l’éducation nationale d’Alger-Est a tiré la sonnette d’alarme le 12 décembre dernier, exhortant les établissements scolaires à agir pour protéger leurs élèves contre les effets néfastes de ces boissons.
Les campagnes de sensibilisation s’intensifient alors que les dangers, allant de troubles du sommeil à des problèmes cardiovasculaires, suscitent des préoccupations croissantes parmi les éducateurs, les parents et les autorités. Derrière ce problème, se pose la question des responsabilités : quelle est la part de culpabilité des producteurs, des distributeurs, et des régulateurs ? Plongée dans une problématique sanitaire et éducative qui touche directement les plus jeunes.
Un phénomène inquiétant dans les écoles
Selon une correspondance officielle adressée aux établissements scolaires par la direction de l’éducation nationale d’Alger-Est, la consommation de boissons énergisantes par les collégiens a atteint un niveau critique. La marque Izem, produite par le groupe IFRI, semble particulièrement prisée par les élèves du cycle moyen. Consommées massivement, ces boissons sont associées à une hyperactivité temporaire, suivie de fatigue intense, rendant difficile l’assimilation des cours.
Les enseignants rapportent des comportements inhabituels chez certains élèves : nervosité, difficultés de concentration, voire agressivité. En cause, la forte teneur en caféine et en sucres des boissons énergisantes, combinée à des substances excitantes telles que la taurine. Ces ingrédients, qui ciblent généralement des adultes en quête d’un regain d’énergie, affectent profondément le système nerveux encore en développement des adolescents.
Les effets sur la santé : un risque sous-estimé
Les effets des boissons énergisantes sur la santé des mineurs vont bien au-delà des simples troubles de l’attention. Les experts de la santé soulignent plusieurs risques graves, notamment une augmentation du rythme cardiaque, des troubles du sommeil, une dépendance psychologique et, dans les cas extrêmes, des incidents cardiovasculaires pouvant être mortels.
La combinaison de caféine et de sucres, souvent consommée à des doses excessives par des adolescents peu informés, peut créer un cercle vicieux. Les élèves cherchent un « boost » pour rester éveillés ou performants, mais finissent épuisés et encore plus dépendants. Les autorités de santé publique alertent également sur le risque de mélanger ces boissons avec d’autres stimulants ou substances, amplifiant leurs effets nocifs.
En Europe et en Amérique du Nord, plusieurs études ont mis en lumière le lien entre la consommation régulière de boissons énergisantes chez les adolescents et des pathologies à long terme telles que l’hypertension, l’obésité et des troubles anxieux. L’Algérie, bien qu’en retard dans la documentation scientifique de ces effets, n’échappe pas à cette tendance préoccupante.
Des campagnes de sensibilisation insuffisantes ?
Pour répondre à cette situation alarmante, la direction de l’éducation d’Alger-Est a ordonné aux directeurs d’établissements scolaires d’organiser des campagnes de sensibilisation. L’objectif est de mettre en lumière les dangers des boissons énergisantes et d’inciter les élèves à réduire, voire à arrêter leur consommation. Cependant, les moyens déployés restent limités.
Dans certaines écoles, les enseignants se plaignent du manque de ressources pour mener ces campagnes efficacement. « Nous faisons ce que nous pouvons, mais il est difficile de concurrencer l’influence des publicités et du marketing agressif autour de ces produits », déclare un directeur de collège sous couvert d’anonymat. Les affiches et les séances de sensibilisation ne suffisent pas toujours à dissuader des élèves attirés par des boissons souvent perçues comme des symboles de modernité et de dynamisme.
Par ailleurs, les parents, qui devraient jouer un rôle clé dans cette sensibilisation, ne sont pas toujours suffisamment impliqués. Beaucoup ignorent les dangers spécifiques des boissons énergisantes, tandis que d’autres les considèrent comme inoffensives, voire bénéfiques.
Le cadre légal : des régulations insuffisantes ?
L’arrêté interministériel du 29 août 2022, qui fixe les spécifications des boissons énergisantes en Algérie, impose des règles strictes. Ces produits doivent être vendus sur des étagères séparées et comporter des avertissements clairs sur leurs dangers pour les mineurs, les femmes enceintes et les personnes vulnérables. Pourtant, dans la pratique, ces régulations sont souvent contournées.
Dans les petits commerces et épiceries de quartier, les boissons énergisantes sont souvent exposées aux côtés de sodas et autres jus, sans respect des exigences légales. Pire encore, aucune mesure n’est prise pour empêcher leur vente aux mineurs, malgré les avertissements imprimés sur les emballages. Ce laxisme dans l’application des lois met en lumière une défaillance systémique dans la régulation et le contrôle des produits à risque.
Les producteurs, eux, se défendent en affirmant respecter scrupuleusement les normes en vigueur. Le groupe IFRI, fabricant de la marque Izem, n’a pour l’instant pas réagi aux critiques formulées par la direction de l’éducation. Cependant, la responsabilité des fabricants est de plus en plus questionnée, notamment en ce qui concerne le marketing ciblant indirectement les jeunes.
Quelles solutions pour enrayer le phénomène ?
La lutte contre la consommation de boissons énergisantes par les mineurs nécessite une approche globale, impliquant écoles, familles, producteurs et autorités publiques. Tout d’abord, un renforcement des contrôles est indispensable pour garantir l’application stricte des régulations existantes. Les commerces qui ne respectent pas les règles d’exposition et de vente doivent être sanctionnés.
Ensuite, les campagnes de sensibilisation doivent être étendues et modernisées. L’utilisation des réseaux sociaux, principaux vecteurs d’information pour les jeunes, pourrait être un levier efficace pour toucher cette cible. Par ailleurs, des programmes éducatifs intégrant des notions de santé et de nutrition pourraient être introduits dans les curricula scolaires.
Enfin, une collaboration étroite avec les producteurs est essentielle pour limiter le marketing agressif et promouvoir des messages responsables. Certains pays ont réussi à réduire la consommation de ces produits chez les mineurs grâce à des partenariats public-privé visant à modifier la composition des boissons ou à restreindre leur accessibilité.
Une problématique qui dépasse les frontières
Le problème des boissons énergisantes chez les mineurs n’est pas propre à l’Algérie. Dans de nombreux pays, leur consommation massive par les adolescents a conduit à des débats similaires sur la responsabilité des producteurs et l’efficacité des régulations. En France, par exemple, la marque Red Bull a été longtemps interdite en raison de ses effets sur la santé publique. Aujourd’hui encore, des mesures restrictives sont régulièrement proposées pour limiter leur accessibilité.
En Algérie, cette affaire reflète un défi plus large lié à la santé des jeunes et à la sensibilisation des familles. Alors que les boissons énergisantes continuent de gagner en popularité, la nécessité d’une réponse coordonnée et rigoureuse devient de plus en plus pressante.
une alerte à prendre au sérieux
L’appel lancé par la direction de l’éducation nationale d’Alger-Est doit être considéré comme un signal d’alarme pour l’ensemble de la société. La consommation croissante de boissons énergisantes chez les collégiens révèle des failles non seulement dans la régulation des produits, mais aussi dans l’éducation et la sensibilisation des jeunes.
Le temps est venu pour les autorités, les éducateurs, les familles et les producteurs d’agir de concert pour protéger les mineurs contre un danger bien réel. Faute de quoi, l’Algérie pourrait faire face à une crise sanitaire aux répercussions durables, touchant directement une génération déjà confrontée à de nombreux défis.