La récente crise entre la France et l’Algérie atteint un nouveau palier. Les discours hostiles se multiplient, portés par une partie de la classe politique française issue de l’extrême-droite et d’une droite dure. L’accumulation de polémiques, allant de l’affaire Boualem Sansal à l’arrestation d’influenceurs algériens, met en lumière ce que certains nomment déjà « l’algérophobie ». Cette fronde se manifeste par des propos incendiaires et des actes à fort symbole, suscitant à la fois indignation et incompréhension.
Un climat tendu, alimenté par la droite dure et l’extrême-droite
Depuis plusieurs mois, la France est témoin d’une multiplication de prises de position hostiles à l’égard de l’Algérie. Cette hostilité, souvent exprimée de façon directe, se cristallise autour de plusieurs figures politiques, dont Bruno Retailleau. Aujourd’hui ministre de l’Intérieur, il est devenu le porte-voix d’une ligne particulièrement dure vis-à-vis d’Alger.
L’obsession algérienne de certains responsables politiques
Bien avant sa nomination, Bruno Retailleau affirmait vouloir « en finir » avec l’accord de 1968 sur l’immigration, facilitant les droits de séjour et de travail pour les ressortissants algériens. Il évoquait même un possible « bras de fer » avec Alger, n’hésitant pas à marteler dans les médias que l’Algérie « doit respecter la France » ou assumer des conséquences plus sévères.
Cette rhétorique a trouvé un nouveau souffle avec l’affaire Boualem Sansal, écrivain franco-algérien incarcéré depuis la mi-novembre à Alger. Retailleau, se présentant en ami de l’écrivain, a porté l’affaire sur la scène publique. Aux yeux de nombreux observateurs, il a surtout exploité cet événement pour alimenter un discours sécuritaire et identitaire, ciblant directement l’Algérie et ses ressortissants.
Des prétextes successifs pour la surenchère
Après Boualem Sansal, la polémique s’est nourrie de plusieurs événements : l’arrestation d’influenceurs algériens accusés d’« appels à la violence » et, plus récemment, les diatribes contre la Grande mosquée de Paris, institution historiquement liée à l’Algérie. Au fil des semaines, chaque prétexte semble bon pour raviver un rejet ciblé de l’Algérie et des Algériens.
Selon un sondage Ifop pour Sud Radio (janvier 2025), 71% des Français disent avoir une image négative des Algériens, un chiffre qui interpelle quand on constate que seule une minorité exprime une même hostilité envers d’autres nationalités maghrébines. Cette différence d’appréciation témoigne du climat actuel : l’« algérophobie » devient peu à peu un phénomène médiatisé, dénoncé par certains responsables politiques de gauche, dont le député LFI Bastien Lachaud.
« L’algérophobie, ça suffit ! » : l’alerte de la gauche française
Face à ce discours de rejet, plusieurs voix de gauche montent au créneau pour dénoncer ce qu’ils qualifient de racisme anti-algérien. Bastien Lachaud, député de La France insoumise (LFI), est l’un des plus virulents à condamner ce climat. Pour lui, la surenchère que l’on observe n’est pas le fruit du hasard : elle répond à une logique politique.
Bastien Lachaud : « On ne rallume pas la guerre d’Algérie »
Dans ses interventions, Bastien Lachaud appelle à mettre fin à la « nostalgie coloniale » et à la volonté de « raviver » la guerre d’Algérie. Il s’insurge contre le discours identitaire qui vise, selon lui, à stigmatiser les Algériens ou les Français d’origine algérienne pour des motifs électoralistes. Son slogan, « L’algérophobie, ça suffit ! », reflète l’exaspération d’une partie de la classe politique qui refuse la banalisation de ce rejet.
Lachaud pointe du doigt des responsables qu’il accuse de chercher à « attiser la xénophobie, l’islamophobie et le racisme ». Pour lui, la question de l’Algérie n’est pas un dossier parmi d’autres : elle représente une blessure historique que certains, à l’extrême-droite, voudraient rouvrir pour fédérer autour d’un discours identitaire.
Un soutien intellectuel et citoyen
Plusieurs intellectuels français soutiennent la posture de Bastien Lachaud. Catherine Tricot, directrice de la revue Regards, parle d’« instrumentalisation » de l’affaire Sansal. Selon elle, l’écrivain n’est qu’un prétexte pour un courant politique souhaitant mener « une guerre de civilisation » contre le monde musulman et l’Algérie en particulier.
De nombreux acteurs associatifs ou citoyens expriment également leur inquiétude quant à la multiplication d’actes et de propos antialgériens. Ils craignent une normalisation de la haine, alimentée par des figures publiques qui n’hésitent pas à user de déclarations chocs pour faire la une des médias.
Mosquée de Paris, accord de 1968 : symboles dans la ligne de mire
Parmi les cibles privilégiées de cette frange politique, on retrouve deux piliers : la Grande mosquée de Paris et l’accord de 1968 sur l’immigration. Deux symboles forts, qui rappellent les liens historiques entre la France et l’Algérie, et qui focalisent aujourd’hui toutes les crispations.
La Grande mosquée de Paris, bouc émissaire d’une offensive identitaire
Depuis plusieurs semaines, la Grande mosquée de Paris subit des critiques virulentes, notamment de la part du ministre de l’Intérieur Bruno Retailleau. Cette mosquée, qui bénéficie d’un lien historique avec l’Algérie (notamment via son financement et la nomination de son recteur), est régulièrement accusée de servir les intérêts algériens.
Le clou est enfoncé lorsque Retailleau laisse entendre qu’il « n’exclut pas de contrôler » le système de certification halal géré par la mosquée, insinuant qu’il pourrait être contraire aux principes de la loi de 1905 sur la laïcité. Pour ses détracteurs, le ministre cherche surtout à attiser la suspicion autour de tout ce qui porte la marque de l’Algérie, dans une stratégie de désignation d’un « ennemi intérieur ».
L’accord de 1968, objet d’une polémique orchestrée
Signé entre la France et l’Algérie peu après l’indépendance, l’accord de 1968 réglemente le statut des Algériens en France, facilitant leurs démarches en matière de séjour et de travail. Pour l’extrême-droite et la droite dure, ce texte incarne une forme de « favoritisme » octroyé aux Algériens.
Or, sur le terrain, les chiffres ne corroborent pas l’idée d’une immigration algérienne massive et « hors contrôle ». Au contraire, de récentes études montrent que l’immigration algérienne n’est pas plus importante que celle en provenance d’autres pays du Maghreb. Mais pour certains élus, la valeur symbolique de ce texte prime sur la réalité. En s’attaquant à l’accord de 1968, ils visent à rompre un acquis historique, tout en envoyant un message clair : la place des Algériens en France est à remettre en question.
Du harcèlement médiatique aux actes concrets : la fin du jumelage Perpignan-Mostaganem
La vague d’algérophobie ne se limite pas à des discours. Elle se traduit aussi dans des actes concrets de rupture. L’exemple le plus frappant est la décision du maire de Perpignan, Louis Aliot (Rassemblement national), de mettre fin au jumelage avec la ville algérienne de Mostaganem.
Une rupture à forte charge symbolique
En rompant ce jumelage, Louis Aliot envoie un signal politique : celui d’une volonté de couper les ponts avec l’Algérie. Officiellement, le maire invoque des motifs variés, mais il ne fait guère mystère de son positionnement idéologique. Perpignan tournait la page sur une coopération culturelle qui avait pour but de rapprocher les citoyens des deux rives de la Méditerranée.
Cette décision, bien que locale, illustre l’enracinement d’un discours de fermeture et de méfiance. Les partisans de cette rupture y voient un acte de « courage » face à un pays qu’ils jugent « hostile » à la France. Pour beaucoup d’observateurs, au contraire, elle s’inscrit dans la logique d’une « algérophobie » banalisée, encouragée par des personnalités politiques en quête de buzz médiatique.
La montée des actes de défiance
Outre les ruptures symboliques comme celle de Perpignan, on observe une multiplication d’incidents : propos injurieux sur les réseaux sociaux, attaques verbales contre des institutions liées à l’Algérie, ou encore suspicion généralisée envers les Franco-Algériens. Certains élus de gauche et d’associations antiracistes alertent sur un risque de passage à l’acte, redoutant que cette frénésie verbale ne finisse par encourager des agressions racistes.
Les répercussions sur la relation franco-algérienne
Cette multiplication de discours et d’actes hostiles envers l’Algérie n’est pas sans effet sur les liens entre les deux États. Alger suit de près l’évolution de la situation, déplorant régulièrement un climat qu’elle juge « délétère ».
Une crise diplomatique en toile de fond
Les tensions entre Paris et Alger ne datent pas d’hier. Elles ont été ravivées par l’affaire Boualem Sansal, puis par la question des influenceurs algériens arrêtés en France. Officiellement, l’Élysée se veut modéré et rappelle que la politique étrangère est l’apanage du président et du ministre des Affaires étrangères.
Mais dans les faits, le discours offensif de Bruno Retailleau – recadré à plusieurs reprises par le chef de la diplomatie, Jean-Noël Barrot – ne faiblit pas. Chaque déclaration contre l’Algérie est perçue comme un signe d’hostilité. Des diplomates algériens, comme Abdelaziz Rahabi, dénoncent une « algérophobie élevée au rang de raison d’État ».
Des répercussions économiques et culturelles
Au-delà du terrain politique, ces tensions risquent de peser sur les échanges économiques, la coopération universitaire ou le tourisme. De nombreux Algériens se rendent en France chaque année, et inversement, pour des motifs familiaux, commerciaux ou touristiques. Une dégradation durable du climat pourrait rendre ces déplacements plus compliqués.
Sur le plan culturel, l’Algérie et la France entretiennent des liens importants, qu’il s’agisse de la production cinématographique, de la littérature ou de la musique. Un climat de défiance réciproque menacerait de geler ces collaborations. Certains craignent qu’à terme, ce repli alimente encore davantage les discours identitaires, installant dans la durée un fossé entre les deux populations.
L’algérophobie, symptôme d’un malaise français ?
Pourquoi tant d’hostilité spécifique envers l’Algérie ? S’il est difficile de répondre de façon catégorique, plusieurs hypothèses se dessinent.
Le poids de l’histoire coloniale
La guerre d’Algérie (1954-1962) a laissé des traces profondes dans les mémoires collectives. Pour une partie de la droite française, la défaite dans ce conflit reste un traumatisme non assumé. Des nostalgiques de l’Algérie française entretiennent parfois un ressentiment vis-à-vis de l’État algérien moderne, perçu comme l’héritier d’une indépendance arrachée au colonisateur.
Cette mémoire blessée se réactive à chaque nouvelle crise. D’aucuns estiment que l’hostilité actuelle est le prolongement d’un contentieux historique non résolu : la France peine à faire le deuil de son empire, et l’Algérie refuse tout compromis sur sa souveraineté.
Un enjeu politique interne
Pour l’extrême-droite et la droite dure, l’Algérie devient un totem commode pour satisfaire un électorat en quête de repères identitaires. Les polémiques sur l’immigration, l’islam ou la sécurité servent un agenda politique : se poser en défenseur intransigeant de la « France éternelle ».
Dans cette vision, l’Algérie incarne l’Autre menaçant, la figure parfaite de l’étranger qu’il faut circonscrire. Le fait que la communauté algérienne en France soit ancienne et nombreuse nourrit encore davantage ce discours, qui lie insécurité, islam et immigration pour justifier une ligne dure.
Les appels à la raison : vers une possible désescalade ?
Face à la montée de l’algérophobie, plusieurs personnalités politiques, culturelles et associatives plaident pour l’apaisement. Ils rappellent que la France et l’Algérie partagent une histoire commune, certes douloureuse, mais aussi des liens humains, économiques et culturels considérables.
La diplomatie pour rétablir la confiance
Sur le plan officiel, les ministères des Affaires étrangères des deux pays tentent, tant bien que mal, de conserver un canal de dialogue. Le président de la République française a réitéré à plusieurs reprises sa volonté de maintenir des relations apaisées avec Alger, tout en se démarquant des propos agressifs émanant du ministère de l’Intérieur.
Des rencontres bilatérales ont eu lieu, et d’autres sont prévues, pour tenter de réduire les tensions. Cependant, tant que la surenchère verbale persiste dans certains cercles politiques français, le risque d’une nouvelle escalade diplomatique demeure réel.
La société civile en renfort
Des associations franco-algériennes, des collectifs de défense des droits de l’homme et des intellectuels se mobilisent pour dénoncer la haine antialgérienne. Ils organisent des débats, publient des tribunes et lancent des pétitions pour rappeler l’urgence de rompre avec les discours stigmatisants.
Ces initiatives témoignent d’un attachement à la réconciliation et à la co-construction. Elles montrent aussi qu’une partie de la société française refuse de tomber dans le piège d’un racisme ciblé, qui met en péril le vivre-ensemble.
Conclusion
L’« algérophobie » qui s’exprime en France ne se réduit pas à un simple emballement médiatique. Elle révèle un malaise plus profond, nourri par l’héritage colonial, des calculs politiques et des crispations identitaires. Pour la droite dure et l’extrême-droite, l’Algérie est devenue la cible idéale, un point de fixation permettant de remettre en cause l’immigration et de flatter un certain électorat nostalgique.
Dénoncée par la gauche française et plusieurs intellectuels, cette surenchère risque d’avoir des répercussions dramatiques, aussi bien sur la communauté algérienne de France que sur la relation bilatérale franco-algérienne. La rupture du jumelage Perpignan-Mostaganem ou les menaces pesant sur la Grande mosquée de Paris illustrent la gravité de la situation.
Pour éviter une fracture durable, il apparaît indispensable de rétablir un climat de confiance. Cela implique, à la fois, un discours politique plus responsable en France et une volonté de dialogue renforcée de part et d’autre de la Méditerranée. Car, au final, la France et l’Algérie sont condamnées à coexister, qu’elles le veuillent ou non. Leurs histoires, imbriquées, ne peuvent être reniées sans créer de nouvelles blessures.
Pour beaucoup, l’heure est donc à la vigilance et à la mobilisation. Refuser la banalisation d’un racisme ciblé à l’encontre des Algériens, rappeler l’importance des liens franco-algériens, c’est défendre non seulement la dignité d’une communauté, mais aussi l’avenir d’une coopération qui, malgré toutes les tensions, reste essentielle. Car en définitive, la France ne peut se construire durablement sans prendre en compte la diversité de son histoire et de sa population, dont les Français d’origine algérienne font pleinement partie.