L’industrie automobile française traverse une période de turbulences sans précédent en Algérie. D’un côté, l’usine Renault d’Oran, jadis symbole de la coopération économique franco-algérienne, se retrouve à l’arrêt depuis cinq ans, confrontée à des blocages réglementaires et à un climat diplomatique de plus en plus tendu. De l’autre, le groupe Stellantis, né de la fusion PSA-FCA, semble connaître une ascension fulgurante grâce à une stratégie axée sur l’intégration locale et la conformité stricte aux nouvelles exigences algériennes. Alors que l’Algérie demeure l’un des plus grands marchés automobiles d’Afrique, la réussite de Stellantis face aux déboires de Renault soulève une question cruciale : la France est-elle en train de perdre son influence industrielle dans ce pays au potentiel énorme, mais soumis à d’importantes contraintes politiques et législatives ?
L’usine Renault d’Oran : un projet phare enlisant
Un site en panne depuis cinq ans
Inaugurée en 2014, l’usine Renault d’Oran était censée produire, dans un premier temps, 25 000 véhicules par an, pour atteindre à terme une capacité de 75 000 unités. L’investissement initial de 50 millions d’euros traduisait l’ambition du constructeur français de consolider sa position en Algérie, considéré comme le deuxième marché automobile d’Afrique.
Pourtant, les résultats sont à des années-lumière des prévisions : l’usine a culminé à environ 60 000 véhicules en 2019, avant de s’effondrer à 2 700 en 2022, puis 2 400 en 2023. Depuis, la situation n’a fait qu’empirer, contraignant Renault à mettre en place une procédure de chômage technique en novembre 2023, et laissant le site quasiment à l’arrêt à la fin de l’année 2024.
L’effet coup de massue de la loi sur le contenu local
En 2020, le gouvernement algérien, dirigé par Abdelmadjid Tebboune, a imposé une nouvelle règle : 30 % des pièces automobiles doivent être produites localement. Cette exigence, motivée par un scandale de corruption qui avait touché l’ancienne présidence, a fait l’effet d’une bombe pour Renault Oran.
Conçue pour assembler des véhicules en mode SKD (Semi Knock Down), l’usine dépendait majoritairement de pièces importées. Les nouvelles dispositions ont entraîné le blocage de nombreux kits importés, retenus au port algérien, et paralysé la chaîne de production. Si l’Algérie a parfois dédouané quelques lots, ces mesures sporadiques n’ont jamais permis de rétablir une activité soutenue. Résultat : l’usine fonctionne au ralenti, quand elle ne ferme pas purement et simplement ses portes.
Des négociations dans l’impasse
Pour tenter de relancer la machine, Renault a entamé des discussions avec le ministère algérien de l’Industrie afin d’obtenir l’agrément nécessaire à la reprise complète de ses activités. Or, dans un contexte diplomatique houleux entre la France et l’Algérie, les perspectives de compromis demeurent incertaines.
La crise, alimentée par un incident survenu début janvier, lorsque l’Algérie a refusé d’accueillir un ressortissant expulsé par Paris, semble avoir renforcé la méfiance mutuelle. Les effets se font sentir dans le secteur automobile, avec un gouvernement algérien peu enclin à assouplir ses règles pour faciliter la vie d’un constructeur français critiqué pour son manque d’adaptabilité.
Stellantis : un nouveau champion s’affirme
Un démarrage fulgurant malgré la législation
Contrairement à Renault, Stellantis est arrivé sur le marché algérien fin 2023, alors même que la règle des 30 % de contenu local était déjà en vigueur. Loin de se laisser décourager, le groupe franco-italo-américain a immédiatement intégré cette contrainte à sa stratégie, misant sur l’assemblage CKD (Complete Knock Down) pour la Fiat 500 et la Fiat Doblò.
Le succès a été au rendez-vous : plus de 18 000 véhicules ont été assemblés dès la première année, une performance de taille dans un marché réputé difficile. Stellantis vise désormais 60 000 unités produites en 2025 et 90 000 en 2026, promettant un taux de contenu local dépassant les 30 % à l’horizon 2026.
Des initiatives saluées par les autorités
Pour témoigner de sa volonté d’ancrage local, Stellantis a organisé en avril 2024 un grand “raout” de l’automobile à Oran, réunissant 90 fournisseurs de pièces détachées, tant algériens qu’internationaux. Cette démarche a été applaudie par l’ex-ministre de l’Industrie, Ali Aoun, qui y a vu la preuve d’un engagement concret en faveur du développement de la filière automobile algérienne.
Par ailleurs, un chantier d’extension est déjà en cours, destiné à intégrer des activités de ferrage et de peinture dès 2025. Cette montée en gamme devrait renforcer la souveraineté industrielle de l’Algérie, tout en conférant à Stellantis un statut de partenaire de long terme, répondant aux exigences de la réglementation locale.
Un modèle industrialisé à la sauce algérienne
Stellantis affirme posséder “un an d’avance” sur les objectifs officiels en matière de contenu local, offrant une réponse très concrète à la volonté de l’État algérien de développer une industrie automobile complète, et non un simple site d’assemblage de pièces importées. Ce choix tranche avec la stratégie de Renault Oran, qui ne semblait pas avoir anticipé les durcissements législatifs imposés par le gouvernement.
Un climat diplomatique délétère : la politique s’invite à l’usine
Les tensions France-Algérie, un facteur aggravant
La relation entre Paris et Alger, déjà marquée par une histoire coloniale douloureuse, a été encore fragilisée fin 2023-début 2024. Les déclarations mutuelles acerbes, l’expulsion avortée d’un ressortissant algérien, et la multiplication des polémiques (dont l’affaire Doualemn) ont nourri un contentieux qui dépasse largement la seule sphère de l’industrie automobile.
Dans ce contexte, les autorités algériennes semblent moins enclines à faire des concessions à un constructeur français qui, de surcroît, n’a pas su démontrer sa volonté d’investir dans le tissu industriel local. Ainsi, l’évolution de la situation de Renault Oran est devenue un indicateur du climat diplomatique général, avec, en toile de fond, la question de la souveraineté nationale et de la mainmise étrangère sur l’économie algérienne.
Menaces sur la coopération économique
Ces tensions politiques pourraient d’ailleurs rejaillir sur d’autres secteurs. Si Renault n’est pas en mesure de reprendre une production normale, le signal envoyé aux investisseurs français serait extrêmement négatif. Au-delà de l’automobile, c’est toute la coopération économique entre la France et l’Algérie qui risque de s’en trouver fragilisée.
Par ailleurs, la concurrence croissante d’acteurs chinois et turcs, prêts à investir massivement dans le marché algérien, accentue la pression. Les entreprises françaises, comme Renault, se retrouvent en concurrence avec des sociétés parfois plus agiles et moins entravées par les aléas diplomatiques.
Maroc, un voisin qui gagne du terrain
Un succès indéniable chez Renault et Stellantis
Au Maroc, la filière automobile bat tous les records : plus de 380 000 véhicules ont été produits en 2023 dans les usines Renault de Casablanca et Tanger, tandis que Stellantis étend ses capacités à Kénitra pour atteindre 450 000 unités par an. Le contraste est frappant : là où l’Algérie peine à dépasser les quelques milliers de véhicules, son voisin franchit aisément des seuils de six chiffres.
Cette réussite marocaine s’explique par plusieurs facteurs : un environnement législatif stable, des incitations fiscales, des zones franches industrielles, et une diplomatie moins conflictuelle avec les pays investisseurs. Les constructeurs y trouvent plus de visibilité et un écosystème de fournisseurs déjà bien rodé.
Un écart qui se creuse
Face aux difficultés de Renault en Algérie, on ne peut ignorer que le Maroc capte une partie des investissements qui, autrefois, auraient pu se diriger vers Alger. L’essor de la production automobile marocaine confirme le déclin relatif de la position française en Algérie, tout en soulignant l’importance d’un partenariat étroit entre autorités locales et groupes étrangers.
Au moment où Stellantis affiche ses ambitions en Algérie, le groupe investit aussi massivement au Maroc, y voyant un marché stratégique complémentaire. Cette double implantation illustre les deux visages du Maghreb automobile : un Maroc en pleine expansion, et une Algérie aux progrès plus chaotiques.
que devient l’influence française en Algérie ?
Renault, un échec symbolique ?
Le sort de l’usine Renault d’Oran pourrait bien incarner un basculement plus général de l’économie algérienne, de moins en moins dépendante de la France. Longtemps, Renault a joué un rôle de pionnier et a bénéficié d’un traitement préférentiel sur le marché algérien. Toutefois, le manque d’anticipation des évolutions réglementaires et l’absence de véritable intégration locale ont gravement entamé son crédit.
Si la situation ne s’améliore pas, Renault risque d’être marginalisé, voire de perdre totalement pied. Cette perspective serait un revers majeur pour la France, dont la présence industrielle en Algérie a un caractère stratégique, tant sur le plan économique que diplomatique.
Stellantis, une chance pour la France ?
Stellantis, bien que né de la fusion entre groupes européens et américains, reste un acteur où la France détient des intérêts significatifs. Son succès en Algérie n’est donc pas seulement un triomphe personnel, mais aussi un indicateur que la présence française peut perdurer, à condition de s’adapter et de respecter les priorités industrielles locales.
La question est de savoir si Stellantis pourra maintenir son rythme de croissance dans un environnement réputé instable. Les tensions diplomatiques franco-algériennes pourraient aussi le toucher, même s’il semble, pour l’instant, mieux préparé que Renault.
Un risque de passage de flambeau
À mesure que la crise diplomatique s’intensifie, la perspective d’un désengagement de Renault augmente. D’autres acteurs étrangers, tels que les constructeurs asiatiques (chinois, coréens) ou d’Europe de l’Est, pourraient en profiter pour s’implanter ou renforcer leur présence. Dans un scénario extrême, la France pourrait se retrouver sans levier industriel majeur dans le secteur automobile algérien.
une industrie automobile française en mutation face aux défis algériens
Le constat est sévère : l’usine Renault d’Oran, autrefois présentée comme le fleuron de la présence industrielle française en Algérie, est à l’arrêt depuis cinq ans, symbole d’une incompréhension persistante entre un constructeur trop dépendant de l’importation et un État algérien soucieux d’ériger une véritable filière locale. À l’inverse, Stellantis, en intégrant dès le départ la contrainte de 30 % de contenu local, semble connaître un succès fulgurant.
Cette divergence traduit une réalité plus vaste : la France risque de perdre de l’influence en Algérie si elle ne parvient pas à s’adapter rapidement aux évolutions réglementaires et politiques. Les tensions diplomatiques ne font qu’aggraver la situation, rendant toute concession mutuelle plus délicate.
Alors que le Maroc, voisin et concurrent régional, atteint des niveaux de production automobile record, l’Algérie demeure un marché plein de potentiel, mais truffé de pièges. L’avenir de l’industrie automobile française en Algérie dépendra de la capacité de groupes comme Renault à réviser profondément leur modèle, ou de la persévérance de Stellantis à élargir encore son assise. Dans cette dynamique complexe, c’est la posture stratégique de la France, oscillant entre tradition et adaptation, qui sera décisive pour maintenir son rang dans l’un des secteurs les plus prometteurs d’Afrique du Nord.