Algérie : Pourquoi les exportations de GNL ont-elles reculé, et qu’en est-il de ses plus grands clients ?

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Algérie : Pourquoi les exportations de GNL ont-elles reculé, et qu’en est-il de ses plus grands clients ?

L’Algérie, réputée pour être l’un des piliers énergétiques majeurs en Afrique et un fournisseur stratégique de gaz naturel liquéfié (GNL) pour l’Europe, a connu en 2024 une baisse marquée de ses exportations. Si elle demeure parmi les principaux acteurs du marché international, l’ampleur du recul, de l’ordre de 13,6 %, soulève des questions sur sa compétitivité à long terme. Les nouvelles données, compilées par l’Energy Research Unit, indiquent une perte de leadership en Afrique et une diminution des flux vers ses clients habituels, en particulier en Union européenne.

État des lieux : une baisse globale de 13,6 % des exportations de GNL

Une contraction inédite

Au terme de l’année 2024, les exportations algériennes de GNL se sont élevées à 11,62 millions de tonnes (MDT), contre 13,45 MDT l’année précédente, marquant ainsi une baisse de 1,83 MDT. Cette contraction est la plus importante enregistrée par l’Algérie depuis plusieurs années. Historiquement, le pays figurait parmi les plus grands export

Algérie : Pourquoi les exportations de GNL ont-elles reculé, et qu’en est-il de ses plus grands clients ?

Introduction
L’Algérie, réputée pour être l’un des piliers énergétiques majeurs en Afrique et un fournisseur stratégique de gaz naturel liquéfié (GNL) pour l’Europe, a connu en 2024 une baisse marquée de ses exportations. Si elle demeure parmi les principaux acteurs du marché international, l’ampleur du recul, de l’ordre de 13,6 %, soulève des questions sur sa compétitivité à long terme. Les nouvelles données, compilées par l’Energy Research Unit, indiquent une perte de leadership en Afrique et une diminution des flux vers ses clients habituels, en particulier en Union européenne. Cet article se propose d’analyser les causes de cette évolution, d’en dresser les impacts majeurs et d’évaluer les perspectives d’avenir pour l’Algérie dans le secteur du GNL.

État des lieux : une baisse globale de 13,6 % des exportations de GNL

Une contraction inédite

Au terme de l’année 2024, les exportations algériennes de GNL se sont élevées à 11,62 millions de tonnes (MDT), contre 13,45 MDT l’année précédente, marquant ainsi une baisse de 1,83 MDT. Cette contraction est la plus importante enregistrée par l’Algérie depuis plusieurs années. Historiquement, le pays figurait parmi les plus grands exportateurs de GNL en Afrique, se disputant la première place avec le Nigeria.

Cette chute de 13,6 % surprend d’autant plus qu’elle intervient dans un contexte où la demande énergétique mondiale demeure soutenue, malgré les incertitudes géopolitiques. Les prévisions initiales tablaient sur une relative stabilité, voire une légère progression, compte tenu de la reprise post-crise sanitaire et de la hausse générale de la consommation en Asie et en Europe.

Des chiffres trimestriels révélateurs

L’Energy Research Unit souligne que le premier trimestre 2024 affichait pourtant des signes encourageants. Avec 2,98 MDT exportées, l’Algérie faisait légèrement mieux que les 2,91 MDT du premier trimestre 2023. Cependant, la suite de l’année a été marquée par des contre-performances successives. Le deuxième trimestre s’est achevé à 3,27 MDT (contre 3,4 MDT en 2023), suivi d’une véritable chute au troisième trimestre (2,61 MDT contre 3,64 MDT l’année précédente).

Le quatrième trimestre, à 2,76 MDT, n’a pas permis d’inverser la tendance. Cette évolution trimestrielle contraste avec l’espoir né en début d’année, traduisant une incapacité à surmonter des facteurs défavorables, tant sur le plan interne qu’externe.

Le record négatif du mois de juillet

Le rapport met également en lumière le creux de 0,710 MDT atteint au mois de juillet 2024, plus faible performance mensuelle de l’année. En revanche, septembre a connu un rebond à 1,15 MDT, sans pour autant rattraper le retard accumulé. D’aucuns y voient la preuve d’une saisonnalité accentuée, liée à la fois aux contraintes techniques et à la demande internationale fluctuante.

Ce tableau traduit la difficulté de l’Algérie à stabiliser sa production et ses exportations sur l’ensemble de l’année. Les causes majeures, selon les analystes, résident dans les opérations de maintenance planifiées au complexe GNL d’Arzew, la baisse de la demande européenne et l’accroissement simultané de la consommation intérieure.

Les raisons structurelles du recul : entre maintenance et demande intérieure

Maintenance du complexe d’Arzew

Le complexe GNL d’Arzew constitue un pilier de l’exportation algérienne. Dédié à la liquéfaction du gaz, il alimente depuis des décennies les marchés européens et internationaux. Or, en 2024, des opérations de maintenance d’envergure y ont été menées, réduisant mécaniquement la capacité de production et de transformation du gaz.

Ces opérations, jugées indispensables pour la sécurité et la pérennité des installations, se sont toutefois étalées sur plusieurs mois, affectant considérablement le flux de GNL disponible pour l’exportation. Cette fragilité infrastructurelle met en évidence la nécessité d’investissements soutenus afin de moderniser et d’optimiser les sites de production.

Une demande intérieure vorace

Parallèlement, l’Algérie a fait face à une hausse sans précédent de la demande intérieure en gaz, particulièrement pour la production d’électricité durant l’été 2024, marqué par des températures caniculaires. Cette demande intérieure a aspiré une partie des volumes habituellement dédiés à l’export, d’autant que l’État algérien privilégie historiquement la satisfaction des besoins nationaux, enjeu de stabilité sociale et politique.

La consommation locale d’électricité, en hausse constante, pousse les autorités à reconsidérer l’équilibre export-intérieur. Le dilemme se pose avec acuité : comment répondre aux impératifs économiques de l’exportation tout en garantissant la satisfaction d’une population croissante, dont les besoins en énergie ne cessent d’augmenter ?

Un marché mondial de plus en plus compétitif

Au-delà des contraintes internes, l’Algérie se heurte à une compétition accrue sur la scène internationale du GNL. Les États-Unis, avec 36,58 MDT exportées en 2024, ont consolidé leur position de premier exportateur mondial, tirant profit de la révolution du gaz de schiste. La Russie, malgré les tensions géopolitiques, reste un acteur incontournable avec 17,36 MDT, tandis que le Qatar maintient un volume stable de 10,56 MDT.

Dans ce paysage, l’Algérie, dont les capacités stagnent et les infrastructures nécessitent des mises à niveau, peine à s’imposer. La concurrence sur les prix, les qualités de gaz et la logistique joue fortement en sa défaveur, au moment où l’Europe diversifie ses approvisionnements pour limiter sa dépendance à un fournisseur unique.

Les plus grands clients : un centre de gravité toujours européen, mais en mutation

La Turquie et la France en tête

En 2024, la Turquie confirme sa place de premier importateur de GNL algérien, avec 4,05 MDT, malgré un léger recul par rapport à 2023 (4,45 MDT). Ce partenariat s’inscrit dans une relation économique plus large, où Ankara cherche à sécuriser ses approvisionnements énergétiques auprès de plusieurs partenaires, pour éviter une dépendance excessive envers la Russie.

La France, quant à elle, demeure le plus grand importateur au sein de l’UE, recevant 3,26 MDT, en légère hausse par rapport à 2023 (3,2 MDT). Cette stabilité relative témoigne d’un intérêt mutuel, malgré les tensions diplomatiques intermittentes entre Paris et Alger. L’Hexagone s’efforce de diversifier ses sources, tout en maintenant des liens historiques avec son ancien partenaire maghrébin.

L’Espagne et l’Italie, deux clients historiques en demi-teinte

L’Espagne a importé 1,66 MDT de GNL algérien en 2024, contre 1,47 MDT en 2023, marquant une reprise modérée. Cette évolution est à mettre en parallèle avec les livraisons par gazoduc, un autre canal d’approvisionnement clé pour la péninsule ibérique.

L’Italie, pourtant grand consommateur de gaz algérien, a vu ses importations de GNL chuter à 1,39 MDT (contre 1,8 MDT en 2023). Ce recul s’explique par une conjoncture italienne spécifique, conjuguée à une diversification accélérée de ses sources d’énergie, soutenue par l’UE pour réduire la dépendance à la Russie, mais aussi par les limites de production algériennes.

Le Royaume-Uni et le reste du monde

Le Royaume-Uni clôt le top 5 des importateurs, avec 0,39 MDT en 2024, contre 0,34 MDT l’année précédente. S’il reste un client relativement modeste, cette hausse traduit l’intérêt de Londres pour le GNL algérien, dans un contexte post-Brexit où le pays cherche à multiplier ses partenaires commerciaux.

Hors de cette liste de tête, l’Algérie a exporté environ 0,86 MDT vers d’autres destinations à travers le globe. Ce volume, bien que moins significatif, démontre que l’Algérie tente de s’inscrire sur des marchés asiatiques ou américains, même si la concurrence y est particulièrement rude.

L’Algérie rétrogradée en Afrique : le Nigeria désormais leader du GNL

Un renversement de situation

En 2023, l’Algérie pouvait se targuer d’être le plus grand exportateur de GNL en Afrique, avec 13,45 MDT, devançant le Nigeria (12,9 MDT). Mais en 2024, la tendance s’est inversée : l’Algérie chute à 11,62 MDT, tandis que le Nigeria grimpe à 14,63 MDT, s’emparant du titre de premier exportateur africain.

Ce renversement souligne l’impasse dans laquelle se trouve Alger, incapable de maintenir son niveau d’exportation face à un Nigeria qui intensifie sa production, modernise ses infrastructures et profite d’un réseau d’acheminement de plus en plus efficient.

L’impact sur la diplomatie énergétique

Pour l’Algérie, la place de numéro un sur le continent n’était pas seulement symbolique. Elle lui conférait une influence diplomatique majeure, notamment dans les forums africains sur l’énergie. Perdre ce statut revient à céder un levier de négociation, que ce soit auprès de partenaires commerciaux ou dans les discussions sur la transition énergétique du continent.

Cette rétrogradation pourrait aussi encourager d’autres pays africains, comme l’Égypte ou le Mozambique, à accélérer leurs projets gaziers pour rivaliser avec l’Algérie, déjà en proie à des difficultés opérationnelles.

Les risques d’un déclassement durable

Si l’Algérie ne réagit pas rapidement, cette perte de leadership pourrait s’installer dans la durée. Les investissements nigérians, soutenus par des partenariats internationaux, laissent présager une hausse continue de la production. La stagnation ou le recul de l’Algérie, en parallèle, élargirait l’écart, réduisant encore plus sa compétitivité et sa capacité d’influence régionale.

Quelle stratégie pour l’avenir ?

Moderniser les infrastructures de production et de transport

Pour regagner du terrain, l’Algérie doit impérativement moderniser et agrandir ses complexes GNL, en commençant par celui d’Arzew. Des opérations de maintenance plus courtes, une meilleure disponibilité des installations et une optimisation des processus de liquéfaction pourraient augmenter la fiabilité des exportations et limiter les chutes soudaines de production.

De surcroît, développer de nouveaux champs gaziers ou intensifier l’exploration s’avérera crucial. L’objectif : disposer de capacités accrues pour répondre à la fois à la demande intérieure croissante et aux engagements internationaux.

Diversifier les marchés et les partenariats

Même si l’Europe demeure un client de premier plan, l’Algérie a intérêt à explorer davantage les marchés asiatiques, où la demande de GNL augmente rapidement, notamment en Chine et en Inde. Nouer des partenariats stratégiques avec des compagnies pétrolières internationales pourrait également faciliter l’accès à ces nouveaux débouchés, tout en modernisant les pratiques industrielles locales.

Dans cette optique, des accords de long terme avec des importateurs asiatiques permettraient d’assurer un écoulement stable du gaz, indépendamment des fluctuations européennes ou africaines.

Répondre à la demande intérieure sans sacrifier l’export

Le véritable défi pour l’Algérie réside dans la conciliation de la demande intérieure grandissante et le maintien d’un niveau d’exportation suffisant. Développer les énergies renouvelables sur le plan national pourrait libérer une partie du gaz utilisé pour la production d’électricité, et donc réaffecter ces volumes à l’exportation.

Par ailleurs, améliorer l’efficacité énergétique et encourager la sobriété dans la consommation locale contribuerait également à préserver des volumes destinés aux marchés internationaux, maintenant ainsi le statut de l’Algérie en tant que fournisseur fiable.

un tournant majeur pour le GNL algérien

La chute de 13,6 % des exportations algériennes de GNL en 2024 marque un tournant décisif pour un pays habitué à figurer parmi les grands acteurs du marché. Face à une demande intérieure qui explose, à des opérations de maintenance perturbatrices et à une concurrence internationale de plus en plus féroce, l’Algérie voit son influence reculer, aussi bien en Afrique – où le Nigeria lui a ravi la première place – qu’en Europe, où elle cède du terrain à d’autres fournisseurs.

Pour redresser la barre, Alger doit mettre en œuvre une stratégie globale, mêlant modernisation des infrastructures, diversification des marchés, renforcement des partenariats et maîtrise de la demande locale. Sans ces réformes, la position de l’Algérie sur le marché mondial du GNL risque de s’éroder davantage, au profit d’autres exportateurs mieux préparés aux mutations du secteur énergétique.

Néanmoins, le potentiel reste considérable. L’Algérie dispose de réserves gazières importantes, d’une proximité stratégique avec l’Europe et d’une expérience de plusieurs décennies dans l’exportation de GNL. Si le pays parvient à surmonter ses défis internes et à adapter sa politique énergétique, il pourrait regagner un rôle de premier plan sur la scène internationale. L’avenir du GNL algérien dépendra en grande partie de la capacité du gouvernement et de la Sonatrach à amorcer rapidement la transition requise, tout en préservant l’équilibre délicat entre besoins nationaux et ambitions d’exportation.

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